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MAUVIGNIER, Laurent

Des Hommes

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Plus le temps passe, plus il se répète, sans pouvoir se raisonner, que lui, s'il était algérien, sans doute il serait fellaga. Il ne sait pas pourquoi il a cette idée, qu'il veut chasser très vite, dès qu'il pense au corps du médecin dans la poussière. Quels sont les hommes qui peuvent faire ça. Pas des hommes qui font ça. Et pourtant. Des hommes. Il se dit pourtant parfois que lui ce serait un fellaga. Parce que les paysans qui ne peuvent pas travailler leur terre. Parce que la pauvreté. Même si certains lui disent qu'on est là pour eux. On vient donner la paix, la civilisation.

Il pense à ce qu'on lui a dit de l'Occupation, il a beau faire, il ne peut s'empêcher d'y penser, de se dire qu'ici on est comme les Allemands chez nous, et qu'on ne vaut pas mieux.

Il pense aussi qu'il serait peut-être harki, comme Idir, parce que la France c'est quand même bien, se dit-il, et puis que c'est ici aussi, la France, depuis tellement longtemps. Et que l'armée c'est un métier comme un autre, sur ça Idir a raison, être harki c'est faire vivre sa famille alors que sinon elle crèverait de faim.

Mais il pense aussi que peut-être tout ça c'est faux. Qu'il ne faudrait croire personne. Qu'on ment partout. Il pense depuis toujours qu'on lui ment. Quelque chose qui ment. Partout. Jusqu'à lui donner l'envie de vomir et de retourner ce qui est le monde devant lui. Il a presque envie de pleurer. Il ne sait pas pourquoi..

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