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RICHEPIN, Jean


Le jour où je vous vis pour la première fois,

Le jour où je vous vis pour la première fois,

Vous aviez un air triste et gai : dans votre voix

Pleuraient des rossignols captifs, sifflaient des merles ;

Votre bouche rieuse, où fleurissaient des perles,

Gardait à ses deux coins d'imperceptibles plis ;

Vos grands yeux bleus semblaient des calices remplis

Par l'orage, et séchant les larmes de la pluie

A la brise d'avril qui chante et les essuie ;

Et des ombres passaient sur votre front vermeil

Comme un papillon noir dans un rais de soleil


Paradis du rêve

Je m’embarquerai, si tu le veux,

Comme un gai marin quittant la grève

Sur les flots dorés de tes cheveux

Dans le paradis fleuri du rêve.

Ta jupe flottant au vent du soir

Gonflera ses plis comme des voiles    

Et quand sur la mer il fera noir

Tes beaux yeux seront mes deux étoiles.

Ton rire éclatant de vermillon

Sera le fanal de la grande hune

J’aurai ton ruban pour pavillon

Et ta blanche peau pour clair de lune.

Nos vivres sont faits et nos boissons,

Pour durer autant que le voyage

Ce sont des baisers et des chansons

Dont nous griserons tout l’équipage.

Nous aborderons je ne sais où

Là-bas, tout là-bas, sur une grève

Du beau Pays bleu, sous un ciel fou,

Dans un paradis fleuri du rêve.


Ballade du roi des gueux


Venez à moi, claquepatins,

Loqueteux, joueurs de musettes,

Clampins, loupeurs, voyous, catins,

Et marmousets, et marmousettes,

Tas de traîne-cul-les-housettes,

Race d’indépendants fougueux !

Je suis du pays dont vous êtes :

Le poète est le Roi des Gueux.


Vous que la bise des matins,

Que la pluie aux âpres sagettes,

Que les gendarmes, les mâtins,


Les coups, les fièvres, les disettes

Prennent toujours pour amusettes,

Vous dont l’habit mince et fongueux

Paraît fait de vieilles gazettes,

Le poète est le Roi des Gueux.


Vous que le chaud soleil a teints,

Hurlubiers dont les peaux bisettes

Ressemblent à l’or des gratins,

Gouges au front plein de frisettes,

Momignards nus sans chemisettes,

Vieux à l’œil cave, au nez rugueux,

Au menton en casse-noisettes,

Le poète est le Roi des Gueux.


Les oiseaux de passage

C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange :
Sur les flancs, l'écurie et l'étable au toit bas ;
Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange
Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.

Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,
Dans sa berge de bois est immobile et dort.
Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire
Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.

Loin de l'endroit humide où gît la couche grasse,
Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d'avoine en poussière s'entasse,
La poule l'éparpille à coups d'ongle et de bec.

Plus haut, entre les deux brancards d'une charrette,
Un gros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi,
Hérissé, l'œil mi-clos recouvert par la crête,
Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.

Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase.
On dirait des rêveurs, quand, soudain s'arrêtant,
Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase
Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.

Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises
Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,
Des pigeons violets aux reflets de turquoises
De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.

Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,
Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail,
Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,
Semblent sur du velours des branches de corail.

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?

Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.

Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir. "

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Elle ne sentit pas lui courir sous la plume
De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,
pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume
Et mourir au matin sur le coeur du soleil.

Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux
Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie
Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !

Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,
Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol

En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !

Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte
Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.
Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.

Les poules picorant ont relevé la tête.
Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,
Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,
Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.

Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.
Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.
Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,
Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?

Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.

Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,
Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l'haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.

La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L'averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.
Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.

Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.
Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.
Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.

Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
C'est l'horizon perdu par-delà les sommets,
C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
Où votre espoir banal n'abordera jamais.

Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.
Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.


Philistins

Philistins, épiciers

Tandis que vous caressiez,

Vos femmes

En songeant, aux petits

Que vos grossiers appétits

Engendrent

Vous pensiez, Ils seront

Menton rasé, ventre rond

Notaires

Mais pour bien vous punir

Un jour vous voyez venir

Sur terre

Des enfants non voulus

Qui deviennent chevelus


Tristesse des bêtes

Le soleil est tombé derrière la forêt.

Dans le ciel, qu'un couchant rose et vert décorait,

Brille encore un grenat au faîte d'une branche.

La lune, à l'opposé, montre sa corne blanche.

Vers les puits, dont l'eau coule aux rigoles de bois,

C'est l'heure où les barbets avec de grands abois

Font, devant le berger lourd sous sa gibecière,

Se hâter les brebis dans des flots de poussière.

Les bêtes, les oiseaux des champs, sont au repos.

Seuls, le long du chemin, compagnons des troupeaux,

Sautant de motte en motte après la mouche bleue,

On entend pépier les brusques hoche-queue.

Puis ils s'en vont aussi. La nuit de plus en plus

Monte, noyant dans l'ombre épaisse le talus

Les grillons plaintifs chantent leur bucolique

En couplets alternés d'un ton mélancolique.

Sous la brise du soir les herbes, les buissons,

Palpitent, secoués de douloureux frissons,

Et semblent chuchoter de noires confidences.

A ce ronron lugubre accordant ses cadences,

Le vieux berger, qui souffle en ses pipeaux faussés,

Fait pâmer les crapauds râlant dans les fossés.

Or, le bélier pensif baisse plus bas ses cornes ;

Les brebis, se serrant, ouvrent de grands yeux mornes ;

Et les chiens en hurlant s'arrêtent pour s'asseoir.

Oh ! vous avez raison d'être tristes, le soir !

Elle a raison, berger, ta chanson monotone

Qui pleure. Il a raison, l'animal qui s'étonne
De l’ombre épouvantable et de la nuit sans fond.

Hélas ! l’ombre et la nuit, sait-on ce qu’elles font ?

Sait-on quel oeil vous guette et quel bras vous menace

Dans cette chose noire ? Ah ! la nuit ! C’est la nasse

Que la Mort tous les soirs tend par où nous passons,

Et qui tous les matins est pleine de poissons.


Vive le bon soleil ! Sa lumière est sacrée.

Vive le clair soleil ! Car c’est lui seul qui crée.

C’est lui qui verse l’or au calice des fleurs,

Et fait les diamants de la rosée en pleurs ;

C’est lui qui donne à mars ses bourgeons d’émeraude,

A mai son frais parfum qui par les brises rôde,

A juin son souffle ardent qui chante dans les blés,

A l’automne jauni ses cieux roux et troublés ;

C’est lui qui pour chauffer nos corps froids en décembre

Unit au bois flambant les vins de pourpre et d’ambre ;

C’est lui l’ami magique au sourire enchanté

Qui rend la joie à ceux qui pleurent, la santé

Aux malades ; c’est lui, vainqueur des défaillances,

Qui nourrit les espoirs, ranime les vaillances ;

C’est lui qui met du sang dans nos veines ; c’est lui

Qui dans les yeux charmants des femmes dort et luit ;

C’est lui qui de ses feux par l’amour nous enivre ;

Et quand il n’est pas là, j’ai peur de ne plus vivre.


Vous comprenez cela, vous, bêtes, n’est-ce pas ?

Puisque, le soir venu, ralentissant le pas,

Dans votre âme, par l’homme oublieux abolie,

Vous sentez je ne sais quelle mélancolie.


Nativité

D’aucuns ont un pleur charitable

Pour Jésus né dans une étable.

Je sais un sort plus lamentable

Je sais un enfant ramassé,

Un jour de décembre glacé,

Nu comme un ver, dans un fossé.

Il est nuit. Pas une voisine

N’offre à sa grange ou sa cuisine

A la pauvre mère en gésine.

Malgré sa mine et son danger,

Qui donc voudrait se déranger ?

Elle est en pays étranger.

Donc, depuis l’étape dernière

Se traînant d’ornière en ornière,

Elle va, bête sans tanière,

Bête hagarde qui s’enfuit

Et cherche à tâtons un réduit,

Les yeux grands ouverts dans la nuit.

Ses reins lui pèsent. Ses mamelles

Que gonflent des cuissons jumelles

Sont pleines comme des gamelles.

Son ventre, où flambent des chardons,

Sent l’enfant, fils des vagabonds,

Qui veut sortir et fait des bonds.

Elle va quand même, plus lente,

Tirant ses pieds lourds dont la plante

Saigne. Elle va, folle, hurlante,

Soûle, et, boule, roule au fossé ,

Et maudit le mâle exaucé

Par qui son flanc fût engrossé.

La face au ciel, comme en extase,

Elle se tord. Son cou s’écrase

Sur les cailloux et dans la vase.

Elle accouche enfin, en crevant ;

Et le gueux nouvel arrivant

Grelotte et vagit en plein vent.

Le vent est dur, sa chair est nue.

Aucune étoile dans la nue

Ne vient saluer sa venue.

Pas de mages, pas de cadeaux,

De crèches, de bergers badauds !

Il est seul, couché sur le dos,

Comme un supplicié qui claime,

Tout noir près du cadavre blême,

Sans personne au monde qui l’aime ;

Et, par sa mère au ventre ouvert

Je jure, le front découvert,

Que l’autre n’a pas tant souffert !


Ballade du rôdeur des champs

Nul ne peut dire où je juche :

Je n’ai ni lit ni hamac.

Je ne connais d’autre huche

Si ce n’est mon estomac.

Mais j’ai planté mon bivac

Dans le pays de maraude,

Où sans lois, sans droits, sans trac,

Je suis le bon gueux qui rôde.

Le loup poursuivi débuche.

Quand la faim me poursuit, crac !

Aux œufs je tends une embûche :

Les poules font cotcodac

Et pondent dans mon bissac.

Puis dans une cave en fraude

Je bois vin, cidre ou cognac.

Je suis le bon gueux qui rôde.

Quand j’ai sifflé litre ou cruche,

Ma cervelle est en mic-mac ;

Bourdonnant comme une ruche,

Mon sang fait tic-tac tic-tac.

Alors je descends au bac

Où chante quelque faraude

Qui me prend pour son verrac.

Je suis le bon gueux qui rôde.

Envoi

Prince au cul bleu comme un lac,

Cogne dont l’œil me taraude,

Pique des deux, va ! Clic, clac !


La chanson de Marie-des-Anges

Y avait un'fois un pauv' gas,

Et lon la laire,

Et lon la la ,

Y avait un'fois un pauv' gas,

cell' qui ne l'aimait pas.

Ell' lui dit: "Apport' moi d'main,
Et lon la laire,

Et lon la la ,

Ell' lui dit: "Apport' moi d'main,

L'coeur de ta mèr' pour mon chien".

Va chez sa mère et la tue,

Et lon la laire,

Et lon la la ,

Va chez sa mère et la tue,

Lui prit l' coeur et s'en courut.

Comme il courut il tomba,
Et lon la laire,

Et lon la la ,

Comme il courut il tomba,
Et par terre l' coeur roula.

Et pendant que l' coeur roulait,
Et lon la laire,

Et lon la la ,

Et pendant que l' coeur roulait,

Entendit l' coeur qui parlait.

Et l' coeur disait en pleurant:

Et lon la laire,

Et lon la la ,

Et l' coeur disait en pleurant:

"T'es tu fait mal mon enfant?"