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HOLBACH, Pierre-Henri d’



Essai sur l'art de ramper à l'usage des courtisans.

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C’est au seul courtisan qu’il est réservé de triompher de lui-même et de remporter une victoire complète sur les sentiments de son cœur. Un parfait courtisan est sans contredit le plus étonnant de tous les hommes. Ne nous parlez plus de l’abnégation des dévots pour la Divinité, l’abnégation véritable est celle d’un courtisan pour son maître ; voyez comme il s’anéantit en sa présence ! Il devient une pure machine, ou plutôt il n’est plus rien ; il attend de lui son être, il cherche à démêler dans ses traits ceux qu’il doit avoir lui-même ; il est comme une cire molle prête à recevoir toutes les impressions qu’on voudra lui donner.

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Le christianisme dévoilé

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Un dieu infortuné, victime innocente de la méchanceté, ennemi des riches et des grands, dut être un objet consolant pour des malheureux. Des mœurs austères, le mépris des richesses, les soins, désintéressés en apparence, des premiers prédicateurs de l’évangile, dont l’ambition se bornait à gouverner les âmes, l’égalité que la religion mettait entre les hommes, la communauté des biens, les secours mutuels que se prêtaient les membres de cette secte, furent des objets très-propres à exciter les désirs des pauvres, et à multiplier les chrétiens. L’union, la concorde, l’affection réciproque, continuellement recommandées aux premiers chrétiens, durent séduire des âmes honnêtes ; la soumission aux puissances, la patience dans les souffrances, l’indigence et l’obscurité, firent regarder la secte naissante comme peu dangereuse dans un gouvernement accoutumé à tolérer toutes sortes de sectes. Ainsi, les fondateurs du christianisme eurent beaucoup d’adhérents dans le peuple, et n’eurent pour contradicteurs, ou pour ennemis, que quelques prêtres idolâtres, ou juifs, intéressés à soutenir les religions établies. Peu-à-peu le nouveau culte, couvert par l’obscurité de ses adhérents, et par les ombres du mystère, jeta de très-profondes racines, et devint trop étendu pour être supprimé.

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Le Système de la nature

De la nature.
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Les hommes se tromperont toujours quand ils abandonneront l’expérience pour des systèmes enfantés par l’imagination.

L’homme est l’ouvrage de la nature, il existe dans la nature, il est soumis à ses lois, il ne peut s’en affranchir, il ne peut même par la pensée en sortir ; c’est en vain que son esprit veut s’élancer au-delà des bornes du monde visible, il est toujours forcé d’y rentrer.

Pour un être formé par la nature et circonscrit par elle, il n’existe rien au-delà du grand tout dont il fait partie, et dont il éprouve les influences ; les êtres que l’on suppose au-dessus de la nature ou distingués d’elle-même seront toujours des chimères, dont il ne nous sera jamais possible de nous former des idées véritables, non plus que du lieu qu’elles occupent et de leur façon d’agir.

Il n’est et il ne peut rien y avoir hors de l’enceinte qui renferme tous les êtres.

Que l’homme cesse donc de chercher hors du monde qu’il habite des êtres qui lui procurent un bonheur que la nature lui refuse : qu’il étudie cette nature, qu’il apprenne ses lois, qu’il contemple son énergie et la façon immuable dont elle agit ; qu’il applique ses découvertes à sa propre félicité, et qu’il se soumette en silence à des lois auxquelles rien ne peut le soustraire ; qu’il consente à ignorer les causes entourées pour lui d’un voile impénétrable ; qu’il subisse sans murmurer les arrêts d’une force universelle qui ne peut revenir sur ses pas, ou qui jamais ne peut s’écarter des règles que son essence lui impose.

On a visiblement abusé de la distinction que l’on a faite si souvent de l’homme physique et de l’homme moral. L’homme est un être purement physique ; l’homme moral n’est que cet être physique considéré sous un certain point de vue, c’est-à-dire, relativement à quelques-unes de ses façons d’agir, dues à son organisation particulière.

Mais cette organisation n’est-elle pas l’ouvrage de la nature ? Les mouvements ou façons d’agir dont elle est susceptible ne sont-ils pas physiques ?

Ses actions visibles ainsi que les mouvements invisibles excités dans son intérieur, qui viennent de sa volonté ou de sa pensée, sont également des effets naturels, des suites nécessaires de son mécanisme propre, et des impulsions qu’il reçoit des êtres dont il est entouré.

Tout ce que l’esprit humain a successivement inventé pour changer ou perfectionner sa façon d’être et pour la rendre plus heureuse, ne fut jamais qu’une conséquence nécessaire de l’essence propre de l’homme et de celle des êtres qui agissent sur lui.

Toutes nos institutions, nos réflexions, nos connaissances n’ont pour objet que de nous procurer un bonheur vers lequel notre propre nature nous force de tendre sans cesse.

Tout ce que nous faisons ou pensons, tout ce que nous sommes et ce que nous serons n’est jamais qu’une suite de ce que la nature universelle nous a faits.

Toutes nos idées, nos volontés, nos actions sont des effets nécessaires de l’essence et des qualités que cette nature a mises en nous, et des circonstances par lesquelles elle nous oblige de passer et d’être modifiés.

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