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HAZARD, Paul



La crise de la conscience européenne

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Pour se faire une vie heureuse, on peut, tout d’abord (c’est un premier moyen), raisonner de sang -froid, ainsi qu’il convient à de pures intelligences, et modérer une imagination qui exagère les maux. Quand il s’agit d’en créer nous sommes d’une habileté infinie ; nous les grossissons, nous les croyons singuliers, et puis inconsolables ; voire même nous avons un certain amour pour la douleur, et nous la chérissons. Elle a un autre travers, cette imagination traîtresse : elle tend vers des joies inaccessibles ; elle nous déçoit, en multipliant les mirages : nous courons pour les rejoindre ; et chaque fois trompés, nous ne comptons plus nos dégoûts. Sachons voir la vie comme elle est ; ne lui demandons pas trop. Nous nous plaignons d’une condition médiocre mais supposons qu’avant notre naissance, on nous montre tous les accidents, toutes les calamités qui peuvent nous échoir en partage: ne serions-nous pas épouvantés ? Et considérant ensuite à combien de périls nous échappons, ne tiendrions-nous pas pour un bonheur prodigieux d’être quittes à si bon compte ? « Les esclaves, ceux qui n’ont pas de quoi vivre, ceux qui ne vivent qu’à la sueur de leur front, ceux qui languissent dans des maladies habituelles, voilà une grande partie du genre humain. A quoi a-t-il tenu que nous n’en fussions? Apprenons combien il est dangereux d’être hommes et comptons les malheurs dont nous sommes exempts pour autant de périls dont nous sommes échappés.

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