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SLIMANI, Leila



Sexe et mensonges: la vie sexuelle au Maroc

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Dans un pays où l’avortement est illégal sauf en cas de viol, de malformations graves ou d’inceste et où «toute personne mariée convaincue d’adultère» risque un à deux ans de prison (article 491 du Code pénal) se jouent chaque jour des situations dramatiques. On ne les voit pas, on ne les entend pas et pourtant des tragédies intimes rongent les citoyens qui ont pour certains le sentiment de vivre dans une société hypocrite, qui les juge et les rejette.

Évidemment, dans la réalité, personne n’ignore que les lois qui nous gouvernent sont bafouées tous les jours, toutes les heures, dans tous les milieux. Chacun le sait mais personne ne veut le voir et s’y confronter. La loi qui pénalise les relations sexuelles hors mariage n’est pas respectée, mais les autorités refusent absolument de l’admettre publiquement. Elles savent que des centaines d’avortements clandestins ont lieu chaque jour, mais la loi punissant l’IVG n’a été amendée qu’à la marge. Elles ne peuvent ignorer que les homosexuels vivent dans la peur et l’humiliation mais elles font comme si. Tous ceux qui détiennent l’autorité – gouvernants, parents, professeurs – tiennent le même discours: «Faites ce que vous voulez, mais faites-le en cachette.»

Dans une société comme la nôtre, l’honneur passe avant tout. Ce n’est pas tant la vie sexuelle des gens que l’on juge mais la publicité qu’ils en font ou osent en faire. Mais cette injonction au silence n’est plus suffisante pour maintenir la paix sociale et permettre l’épanouissement de chacun. Notre société est rongée par le poison de l’hypocrisie et par une culture institutionnalisée du mensonge.

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Non seulement les droits sexuels font partie des droits humains, mais on peut considérer que c’est par le biais de la sexualité que la domination masculine s’est établie dans de multiples civilisations. Défendre les droits sexuels, c’est défendre directement les droits des femmes. À travers le droit de disposer de son corps, de s’affranchir de son cercle familial pour vivre une sexualité épanouissante, ce sont des droits politiques qui se jouent. En légiférant dans ces domaines, on donnera aux femmes les moyens de se défendre contre la violence masculine et les pressions familiales. La situation aujourd’hui n’est plus tenable. À savoir, une situation de misère sexuelle généralisée, en particulier pour les femmes, dont les besoins sexuels autres que la reproduction sont tout simplement ignorés ; des femmes qui sont soumises à l’impératif de la virginité avant le mariage et à la passivité ensuite. Une femme dont le corps est soumis à un tel contrôle social ne peut pas jouer pleinement son rôle de citoyenne. En étant à ce point « sexualisée », exhortée au silence ou à l’expiation, la femme est niée en tant qu’individu.

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Le pays des autres

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Adolescente, Mathilde n'avait jamais pensé qu'il était possible d'être libre toute seule, il lui paraissait impensable, parce qu'elle était une femme, parce qu'elle était sans éducation, que son destin ne soit pas intimement lié à celui d'un autre. Elle s'était rendu compte de son erreur beaucoup trop tard et maintenant qu'elle avait du discernement et un peu de courage il était devenu impossible de partir. Les enfants lui tenaient lieu de racines et elle était attachée à cette terre, bien malgré elle. Sans argent, il n'y avait nulle part où aller et elle crevait de cette dépendance, de cette soumission.

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