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CARCO, Francis


Printemps


Dans l’enclos campagnard où sèche la lessive,

La rivière entraîne le ciel à la dérive

Et le vent est chargé d’une odeur de lilas.

La terre exhale une senteur de terreau gras

Dont s’imprègnent les draps grenus, râpeux et rudes

Que la servante épaisse, aux lentes attitudes,

Recueillera, ce soir, dans son panier d’osier.

Je songe au geste égal, rustique et familier

De cette femme, détachant comme des grappes

De fruits clairs, la blancheur ondoyante des nappes,

Qui claquent comme un vol de colombes, soudain

Et se déploient — halo vivant — par ce jardin

En frappant le silence inconnu d’un bruit d’ailes.

Ô rumeurs, vous flottez aux courbes des tonnelles,

Vous emplissez l’enclos paisible et la maison

Savoure la voluptueuse pâmoison

De se sentir ainsi bercée à vos murmures :

Débordez maintenant dans les chambres obscures,

Et vous reconnaîtrez, dans l’ombre, chaque fois,

L’écho mystérieux qui double votre voix.



Matinée de printemps


Les persiennes ouvraient sur le grand jardin clair

Et, quand on se penchait pour se griser de l'air

Humide et pénétré de fraîcheurs matinales,

Un vertige inconnu montait à nos front pâles,

Et nos cœur se gonflaient comme un ruisseau grossi,

Car c'était tout un vol de parfums adoucis

Dans l'éblouissement heureux de la lumière.

Les lilas avaient des langueurs particulières

Où se décomposait une odeur de terreau.

Tout le printemps chantait de l'éveil des oiseaux

Et, dans le déploiement des ailes engourdies

Passait le grand élan paisible de la vie.

Une rumeur sonore emplissait la maison.

On entendait des bruits d'insectes ; des frissons

Faisaient trembler les grappes mauves des glycines

Tandis qu'allégrement des collines voisines

Un parfum de sous-bois arrivait jusqu'à nous.

Ô matins lumineux ! matins dorés et flous,

Je vous respirerai plus tard à la croisée

Et vous aurez l'odeur des feuilles reposées.

Et ce sera comme un très ancien rendez-vous.



Le doux caboulot


Le doux caboulot

Fleuri sous les branches

Est tous les dimanches

Plein de populo.


La servante est brune,

Que de gens heureux

Chacun sa chacune,

L'une et l'un font deux.


Amoureux épris du culte d'eux-mêmes.

Ah sûr que l'on s'aime,

Et que l'on est gris.


Ça durera bien le temps nécessaire

Pour que Jeanne et Pierre

Ne regrettent rien.


Nuits d'hiver!

Nuits d’hiver ! Quel bastringue allume

Sa lanterne sur le mur ?

Un quinquet, sous le plafond, fume...

Amour, que tu es amer !

Ce n'est pas le rouge des bouches,

Ni le cerne bleu des yeux,

Ni cette musique aigre-douce...

Sais-je encor ce que je veux !

Vous dansez, collés l'un à l'autre,

En extase et malheureux.

Je vous cherche comme des mortes

Dont on m'aurait séparé.

Est-ce vous, ô filles perdues

Qui n'aimez que le plaisir

Et qui, dans les bals de banlieue

Sanglotez et frémissez ?

La mort sourit à qui l'appelle

Et s'approche en grimaçant...

Dehors, celle qu'on assassine

Pleure et se dit innocente.

N'écoutez pas le sang qui crie

Sur le gras pavé des rues.

ici, dansez bien à l'abri...

Vous n'avez pas entendu.

Nuits d'hiver! Le vent bat la flamme

Qui vacille sur le mur...

Filles folles, ô coeur d'apaches,

Couples ramassés et purs;

Tout, parmi ce bastringue louche,

Vous invite et vous sourit...

Mêlez la valse qui chaloupe

Et l'ordure au paradis.


Il pleut


Il pleut - c'est merveilleux. Je t'aime.

Nous resterons à la maison :

Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes

Par ce temps d'arrière-saison.


Il pleut. Les taxis vont et viennent.

On voit rouler les autobus

Et les remorqueurs sur la Seine

Font un bruit ...qu'on ne s'entend plus.


C'est merveilleux : il pleut. J'écoute

La pluie dont le crépitement

Heurte la vitre goutte à goutte ...

Et tu me souris tendrement.


Je t'aime. Oh ! ce bruit d'eau qui pleure,

Qui sanglote comme un adieu.

Tu vas me quitter tout à l'heure :

On dirait qu'il pleut dans tes yeux.