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GENET, Jean


Marche funèbre

Quand tu dors des chevaux déferlent dans la nuit

Sur ta poitrine plate et le galop des bêtes

Écarte la ténèbre où le sommeil conduit

Sa puissante machine arrachée à ma tête

Et sans le moindre bruit


Le sommeil fait fleurir de tes pieds tant de branches

Que j’ai peur de mourir étouffé par leurs cris.

Que déchiffre au défaut de ta fragile hanche

Avant qu’il ne s’efface un pur visage écrit

En bleu sur ta peau blanche.


Mais qu’un gâfe t’éveille ô mon tendre voleur

Quand tu laves tes mains ces oiseaux qui voltigent

Autour de ton bosquet chargé de mes douleurs

Tu casses avec douceur des étoiles la tige

Sur ton visage en pleurs.


Ta dépouille funèbre a des poses de gloire

Ta main qui la jetait la semant de rayons.

Ton maillot, ta chemise et ta ceinture noire

Étonnent ma cellule et me laissent couillon

Devant un bel ivoire.



Le Condamné à mort

A la mémoire de Maurice PILORGE

assassin de vingt ans

Le vent qui roule un cœur sur le pavé des cours,

Un ange qui sanglotte accroché dans un arbre,

La colonne d’azur qu’entortille le marbre

Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.

Un pauvre oiseau qui tombe et le goût de la cendre,

Le souvenir d’un œil endormi sur le mur,

Et ce poing douloureux qui menace l’azur

Font au creux de ma main ton visage descendre.

Ce visage plus dur et plus léger qu’un masque,

Et plus lourd à ma main qu’aux doigts du réceleur

Le joyau qu’il convoite; il est noyé de pleurs.

Il est sombre et féroce, un bouquet vert le casque.

Ton visage est sévère: il est d’un pâtre grec.

Il reste frémissant aux creux de mes mains closes.

Ta bouche est d’une morte et tes yeux sont des roses,

Et ton nez d’un archange est peut-être le bec.

Le gel étincelant de ta pudeur méchante

Qui poudrait tes cheveux de clairs astres d’acier,

Qui couronnait ton front des pines du rosier

Quel haut-mal l’a fondu si ton visage chante?

Dis-moi quel malheur fou fait éclater ton œil

D’un désespoir si haut que la douleur farouche,

Affolée, en personne, orne ta ronde bouche

Malgré tes pleurs glacés, d’un sourire de deuil?

Ne chante pas ce soir les < Costauds de la Lune >!

Gamin d’or sois plutôt princesse d’une tour

Rêvant mélancolique à notre pauvre amour;

Ou sois le mousse blond qui veille à la grand’hune.

Et descend vers le soir pour chanter sur le pont

Parmi les matelots à genoux et nus tête

L’ave maris stella. Chaque marin tient prête

Sa verge qui bondit dans sa main de fripon.

Et c’est pour t’emmancher, beau mousse d’aventure

Qu’ils bandent sous leur froc les matelots musclés.

Mon Amour, mon Amour, voleras-tu les clés

Qui m’ouvriront ce ciel où tremble la mature

D’où tu sèmes, royal, les blancs enchantements

Qui neigent sur mon page, en ma prison muette:

L’épouvante, les morts dans les fleurs de violette….

La mort avec ses coqs; Ses fantômes d’amants…

Sur ses pieds de velours passe un garde qui rôde.

Repose en mes yeux creux le souvenir de toi.

Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit.

On dit que la Guyane est une terre chaude.

O la douceur du bagne impossible et lointain!

O le ciel de la Belle, ô la mer et les palmes,

Les matins transparents, les soirs fous, les nuits calmes,

O les cheveux tondus et les Peaux-de-Satin!

Rêvons ensemble, Amour, à quelque dur amant

Grand comme l’Univers mais le corps taché d’ombres

Qui nous bouclera nus dans ces auberges sombres,

Entre ses cuisses d’or, sur son ventre fumant,

Un mac éblouissant taillé dans un archange

Bandant sur les bouquets d’œillets et de jasmins

Que porteront tremblants tes lumineuses mains

Sur son auguste flanc que ton baiser dérange.

Tristesse dans ma bouche! Amertume gonflant

Gonflant mon pauvre cœur! Mes amours parfumées

Adieu vont s’en aller! Adieu couilles aimées!

O sur ma voix coupée adieu chibre insolent!

Gamin ne chantez pas, posez votre air d’apache!

Soyez la jeune fille au pur cou radieux,

Ou si tu n’as de peur l’enfant mystérieux

Mort en moi bien avant que me tranche la hache.

Enfant d’honneur si beau couronné de lilas!

Penche-toi sur mon lit, laisse ma queue qui monte

Frapper ta joue dorée. Écoute il te raconte,

Ton amant l’assassin sa geste en mille éclats.

Il chante qu’il avait ton corps et ton visage,

Ton cœur que n’ouvriront jamais les éperons

D’un cavalier massif. Avoir tes genoux ronds!

Ton cou frais, ta main douce, ô môme avoir ton âge!

Voler voler ton ciel éclaboussé de sang

Et faire un seul chef d’œuvre avec les morts cueillies

Ça et là dans les prés, les haies, morts éblouies

De préparer sa mort, son ciel adolescent…

Les matins solennels, le rhum, la cigarette…

Les ombres du tabac, du bagne et des marins

Visitent ma cellule où me roule et m’étreint

Le spectre d’un tueur à la lourde braguette.

La chanson qui traverse un monde ténébreux

C’est le cri d’un marlou porté par la musique.

C’est le chant d’un pendu raidi comme une trique.

C’est l’appel enchanté d’un voleur amoureux.

Un dormeur de seize ans appelle de bouées

Que nul marin ne lance au dormeur affolé.

Un enfant reste droit contre le mur collé.

Un autre dort bouclé dans ses jambes nouées.

J’ai tué pour les yeux bleus d’un bel indifférent

Qui jamais ne comprit mon amour contenue,

Dans sa gondole noire une amante inconnue,

Belle comme un navire et morte en m’adorant.

Toi quand tu seras prêt, en arme pour le crime,

Masqué de cruauté, casqué de cheveux blonds,

Sur la cadence folle et brève des violons

Égorge une rentière en amour pour ta frime.

Apparaîtra sur terre un chevalier de fer,

Impassible et cruel, visible malgré l’heure

Dans le geste imprécis d’une vieille qui pleure.

Ne tremble pas surtout, devant son regard clair.

Cette apparition vient du ciel redoutable

Des crimes de l’amour. Enfant des profondeurs

Il naîtra de son corps d’étonnantes splendeurs,

Du foutre parfumé de sa queue adorable.

Rocher de granit noir sur le tapis de laine

Une main sur sa hanche, écoute-le marcher.

Marche vers le soleil de son corps sans péché,

Et t’allonge tranquille au bord de sa fontaine.

Chaque fête du sang délègue un beau garçon

Pour soutenir l’enfant dans sa première épreuve.

Apaise ta frayeur et ton angoisse neuve,

Suce son membre dur comme on suce un glaçon.

Mordille tendrement le paf qui bat ta joue,

Baise sa tête enflée, enfonce dans ton cou

Le paquet de ma bite avalé d’un seul coup.

Ètrangle-toi d’amour, dégorge, et fais ta moue!

Adore à deux genoux, comme un poteau sacré

Mon torse tatoué, adore jusqu’aux larmes

Mon sexe qui te romp, te frappe mieux qu’une arme,

Adore mon bàton qui va te pénétrer.

Il bondit sur tes yeux; il enfile ton âme
Penches un peu la tête et le vois se dresser.

L’apercevant si noble et si propre à baiser

Tu t’inclines très bas en lui disant: « Madame »!

Madame écoutez-moi! Madame on meurt ici!

Le manoir est hanté! La prison vole et tremble!

Au secours, nous bougeons! Emportez-nous ensemble,

Dans votre chambre au Ciel, Dame de la merci!

Appelez le soleil, qu’il vienne et me console.

Étranglez tous ces coqs! Endormez le bourreau!

Le jour sourit mauvais derrière mon carreau.

La prison pour mourir est une fade école.

Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou

Que ma main plus légère et grave qu’une veuve

Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve

Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

O viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne

Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.

Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,

Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.

Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,

Et les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire

Accueillir la rosée où le matin va boire,

Le clocher peut sonner: moi seul je vais mourir.

O viens mon ciel de rose, O ma corbeille blonde!

Visite dans sa nuit ton condamné à mort.

Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,

Mais viens! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.

Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.

On peut se demander pourquoi les Cours condamnent

Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche! Amour ouvre les portes!

Traverse les couloirs, descends, marche léger,

Vole dans l’escalier, plus souple qu’un berger,

Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

O traverse les murs; s’il le faut marche au bord

Des toits, des océans; couvre-toi de lumière,

Use de la menace, use de la prière,

Mais viens, ô ma frégate une heure avant ma mort.

Les assassins du mur s’enveloppent d’aurore

Dans ma cellule ouverte au chant des hauts sapins,

Qui la berce, accrochée à des cordages fins

Noués par des marins que le clair matin dore.

Qui grava dans le plâtre une Rose des Vents?

Qui songe à ma maison, du fond de sa Hongrie?

Quel enfant s’est roulé sur ma paille pourrie

A l’instant du réveil d’amis se souvenant?

Divague ma Folie, enfante pour ma joie

Un consolant enfer peuplé de beaux soldats,

Nus jusqu’à la ceinture, et des frocs résédas

Tire d’étranges fleurs dont l’odeur me foudroie.

Arrache on ne sait d’où les gestes les plus fous.

Dérobe des enfants, invente des tortures,

Mutile la beauté, travaille les figures,

Et donne la Guyane aux gars, pour rendez-vous.

O mon vieux Maroni, ô Cayenne la douce!

Je vois les corps penchés de quinze à vingt fagots

Autour du mino blond qui fume les mégots

Crachés par les gardiens dans les fleurs et la mousse.

Un clop mouillé suffit à nous désoler tous.

Dressé seul au dessus des rigides fougères

Le plus jeune est posé sur ses hanches légères

Immobile, attendant d’être sacré l’époux.

Et les vieux assassins se pressant pour le rite

Accroupis dan le soir tirent d’un bâton sec

Un peu de feu que vole, actif, le petit mec

Plus élégant et pur qu’une émouvante bite.

Le bandit le plus dur, dans ses muscles polis

Se courbe de respect devant ce gamin frêle.

Monte la lune au ciel. S’apaise une querelle.

Bougent du drapeau noir les mystérieux plis.

T’enveloppent si fin, tes gestes de dentelle!

Une épaule appuyée au palmier rougissant

Tu fumes. La fumée en ta gorge descend

Tandis que les bagnards, en danse solennelle,

Graves, silencieux, à tour de rôle, enfant,

Vont prendre sur ta bouche une goutte embaumée,

Une goutte, pas deux, de la ronde fumée

Que leur coule ta langue. O frangin triomphant,

Divinité terrible, invisible et méchante,

Tu restes impassible, aigu, de clair métal,

Attentif à toi seul, distributeur fatal

Enlevé sur le fil de ton hamac qui chante.

Ton âme délicate est par de là les monts

Accompagnant encor la fuite ensorcelée

D’un évadé du bagne, au fond d’une vallée

Mort, sans penser à toi, d’une balle aux poumons.

Élève-toi dans l’air de la lune ô ma gosse.

Viens couler dans ma bouche un peu du sperme lourd

Qui roûle de ta gorge à tes dents, mon Amour,

Pour féconder enfin nos adorables noces.

Colle ton corps ravi contre le mien qui meurt

D’enculer la plus tendre et douce des fripouilles.

En soupesant charmé tes rondes, blondes couilles,

Mon vit de marbre noir t’enfile jusqu’au cœur.

Oh vise-le dresé dans son couchant qui brûle

Et va me consumer! J’en ai pour peu de temps,

Si vous l’osez, venez, sortez de vos étangs,

Vos marais, votre boue où vous faites des bulles

Ames de mes tués! Tuez-moi! Brûlez-moi!

Michel-Ange exténué, j’ai taillé dans la vie

Mais la beauté Seigneur, toujours je l’ai servie,

Mon ventre, mes genoux, mes mains roses d’émoi.

Les coqs du poulailler, l’alouette gauloise,

Les boîtes du laitier, une cloche dans l’air,

Un pas sur le gravier, mon carreau blanc et clair,

C’est le luisant joyeux sur la prison d’ardoise.

Messieurs je n’ai pas peur! Si ma tête roulait

Dans le son du panier avec ta tête blanche,

La mienne par bonheur sur ta gracile hanche

Ou pour plus de beauté, sur ton cou mon poulet…

Attention! Roi tragique à la bouche entr’ouverte

J’accède à tes jardins de sable, désolés,

Où tu bandes, figé, seul, et deux doigts levés,

D’un voile de lin bleu ta tête recouverte.

Par mon délire idiot je vois ton double pur!

Amour! Chanson! Ma reine! Est-ce ton spectre mâle

Entrevu lors des jeux dans ta prunelle pâle

Qui m’examine ainsi sur le plâtre du mur?

Ne sois pas rigoureux, laisse chanter matine

A ton cœur bohémien; m’accorde un seul baiser…

Mon Dieu je vais claquer sans te pouvoir presser

Dans ma vie une fois sur mon cœur et ma pine!

Pardonnez-moi mon Dieu parce que j’ai péché!

Les larmes de ma voix, ma fièvre, ma souffrance,

Le mal de m’envoler du beau pays de France,

N’est-ce pas assez monseigneur pour aller me coucher

Trébuchant d’espérance.

Dans vos bras embaumés, dans vos châteaux de neige!

Seigneur des lieux obcurs, je sais encore prier.

C’est moi mon père, un jour, qui me suis écrié:

Gloire au plus haut du ciel, au dieu qui me protège

Hermès au tendre piéd!

Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,

Les chants des Séraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,

Les angelots de laine en chaudes houppelandes,

Et j’espère des nuits sans lunes ni soleils

Sur d’immobiles landes.

Ce n’est pas ce matin que l’on me guillottine.

Je peux dormir tranquille. A l’étage au dessus

Mon mignon paresseux, ma perle, mon jésus,

S’éveille. Il va cogner de sa dure bottine

A mon crâe tondu.

Il paraît qu’à côté vit un épilectique.

La prison dort debout au noir d’un chant des morts.

Si des marins sur l’eau voient s’avancer les ports

Mes dormeurs vont s’enfuir vers une autre Amérique.


J’ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami Maurice Pilorge dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil. En esprit je revis avec lui les quarante derniers jours qu’il passa, les chaînes aux pieds et parfois aux poignets, dans la cellule des condamnés à mort de la prison de Saint-Brieux. Les journaux manquent d’à propos. Ils commirent d’imbéciles articles ponr illustrer sa mort qui coïncidait avec l’entrée en fonction du bourreau Desfourneaux. Commentant l’attitude de Maurice devant la Mort le journal l’Œuvre dit <>. Bref on le ravala. Pour moi, qui l’ai connu et qui l’ai aimé, je veux ici, le plus doucement possible, tendrement, affirmer qu’il fut digne, par la double et unique splendeur de son âme et de son corps, d’avoir le bénifice d’une telle mort. Chaque matin, quand j’allais, grâce à la complicité d’un gardien ensorcelé, par sa beauté, sa jeunesse et son agonie d’Appollon, de ma cellule à la sienne pour lui porter quelques cigarettes, levé tôt il fredonnait et me saluait ainsi, en souriant: <> Originaire du Puy de Dôme il avait un peu l’accent d’Auvergne. Les jurés, offensés par tant de grâce, stupides mais pourtant prestigieux dans leur rôle de Parques le condamnèrent à 20 ans de travaux forcés pour cambriolage de villas sur la côte, et le lendemain, parce qu’il avait tué son amant Escudero pour lui voler moins de mille francs, cette même Cour d’assises condamnait mon ami Maurice Pilorge à avoir la tête tranchée. Il fut exécuté le 17 mars 1939 à Saint-Brieux.