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COURTELINE, Georges

La Paix chez soi

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TRIELLE

J’userai de ta permission et triompherai selon mon droit. Car cet acte d’autorité, que je n’accomplis pas en pure perte, t’inspira de saines réflexions. J’en sus quelque temps entretenir les bienfaits à l’aide de nouvelles fessées appliquées avec à-propos -- et toujours équitablement, tu me rendras cette justice. Je ne suis, en effet, ni un lâche, ni un goujat, ni une brute, ainsi qu’il te plaît à dire. Je suis tout simplement, mon Dieu ! un pauvre diable d’homme de lettres…

VALENTINE

… sans aucune espèce de talent…

TRIELLE

… sans aucune espèce de talent, mais qui aimerait bien, cependant, trouver dans son petit intérieur une paix qui, peut-être, à la longue, lui permettrait d’en acquérir. Malheureusement, vous autres femmes vous vous blasez tout de suite sur les meilleures choses. Je vis venir avec tristesse le moment où les corrections t’allaient devenir indifférentes en attendant qu’elles te devinssent agréables ; je dus passer à un autre genre d’exercice. C’est alors que j’imaginai de me venger sur le mobilier.

VALENTINE, ironique.

C’était malin.

TRIELLE

Très malin même, puisque le jour où d’un coup de tabouret je fis voler en éclats le miroir de l’armoire à glace, tu restas muette d’ahurissement, de quoi j’éprouvai une joie telle qu’en moins de six semaines j’immolai sans regret, à mon ardente soif de silence, deux chaises, le pot à eau, le casier à musique, la lampe, la pendule, la soupière, le buste de ton oncle Arsène (orgueil de notre humble salon), et divers autres objets de première nécessité. Le fâcheux est, ô Valentine, qu’il n’en soit pas du mobilier comme du phénix qui renaît de ses cendres. La perspective d’avoir à en acheter d’autre me gâta vite l’âpre jouissance que je goûtais à casser les meubles ; une fois encore je dus chercher autre chose. Seulement quoi ? M’en aller ? Peut-être. Mais où aller ? Car tout est là pour un homme dont les goûts bourgeois répugnent au concubinage comme à la triste vie d’hôtel. Je commençais à désespérer quand le ciel me suggéra l’idée de te faire désormais, purement et simplement, payer de ta

poche tes fautes ; solution heureuse, j’ose le croire, définitive en tout cas, et à laquelle je m’arrête. De cette heure donc, tu peux en toute tranquillité, forte du serment que je te fais de ne me plus mettre en colère sous quelque prétexte que ce soit, donner libre cours aux élans de ton infernal caractère. Quoi que tu dises, quoi que tu fasses,

tu n’auras de moi ni une chiquenaude, ni le moindre rappel à l’ordre : je mettrai cela sur la note, simplement. Tu paieras à la fin du mois. Hurle, braille, rugis, vocifère, fais du scandale tout ton soûl, trouble tant que tu voudras le repos des voisins ; tu n’as à t’occuper de rien : tu paieras à la fin du mois. Plus de querelles, j’en ai assez. Plus de pugilats, j’en suis las. Énergiquement déterminé à avoir la paix chez moi et ne l’ayant pu obtenir ni par les bons procédés, ni par les moyens extrêmes, je prends le parti de l’acheter avec tes propres deniers, chose qui ne fut point arrivée si tu me l’avais donnée pour rien. J’ai dit. Je ne te retiens plus. Bonjour. Tu peux t’en retourner à tes occupations. Je suis au désespoir de te quitter si vite, mais le devoir m’appelle, l’heure me presse et mon journal n’attend pas.

VALENTINE

Quand tu auras assez causé, tu le diras.

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