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BANVILLE, Théodore de


Conseil

Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !

Escalade la roche aux nobles altitudes.

Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,

Fuis les regrets amers que ton cœur savourait.


Dès l’heure éblouissante où le matin paraît,

Marche au hasard ; gravis les sentiers les plus rudes.

Va devant toi, baisé par l’air des solitudes,

Comme une biche en pleurs qu’on effaroucherait.


Cueille la fleur agreste au bord du précipice.

Regarde l’antre affreux que le lierre tapisse

Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.


Marche et prête l’oreille en tes sauvages courses ;

Car tout le bois frémit, plein de rythmes confus,

Et la Muse aux beaux yeux chante dans l’eau des sources.


Nous n’irons plus au bois


Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés.

Les Amours des bassins, les Naïades en groupe

Voient reluire au soleil en cristaux découpés

Les flots silencieux qui coulaient de leur coupe.

Les lauriers sont coupés, et le cerf aux abois

Tressaille au son du cor ; nous n’irons plus au bois,

Où des enfants charmants riait la folle troupe

Sous les regards des lys aux pleurs du ciel trempés,

Voici l’herbe qu’on fauche et les lauriers qu’on coupe.

Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés.


Hérodiade


Ses yeux sont transparents comme l'eau du Jourdain.

Elle a de lourds colliers et des pendants d'oreilles ;

Elle est plus douce à voir que le raisin des treilles,

Et la rose des bois a peur de son dédain.


Elle rit et folâtre avec un air badin,

Laissant de sa jeunesse éclater les merveilles.

Sa lèvre est écarlate, et ses dents sont pareilles

Pour la blancheur aux lis orgueilleux du jardin.


Voyez-la, voyez-la venir, la jeune reine !

Un petit page noir tient sa robe qui traîne

En flots voluptueux le long du corridor.


Sur ses doigts le rubis, le saphir, l'améthyste

Font resplendir leurs feux charmants : dans un plat d'or

Elle porte le chef sanglant de Jean Baptiste.


Bien souvent je revois …

Bien souvent je revois sous mes paupières closes,

La nuit, mon vieux Moulins bâti de briques roses,

Les cours tout embaumés par la fleur du tilleul,

Ce vieux pont de granit bâti par mon aïeul,

Nos fontaines, les champs, les bois, les chères tombes,

Le ciel de mon enfance où volent des colombes,

Les larges tapis d’herbe où l’on m’a promené

Tout petit, la maison riante où je suis né

Et les chemins touffus, creusés comme des gorges,

Qui mènent si gaiement vers ma belle Font-Georges,

À qui mes souvenirs les plus doux sont liés.

Et son sorbier, son haut salon de peupliers,

Sa source au flot si froid par la mousse embellie

Où je m’en allais boire avec ma soeur Zélie,

Je les revois ; je vois les bons vieux vignerons

Et les abeilles d’or qui volaient sur nos fronts,

Le verger plein d’oiseaux, de chansons, de murmures,

Les pêchers de la vigne avec leurs pêches mûres,

Et j’entends près de nous monter sur le coteau

Les joyeux aboiements de mon chien Calisto !


La Lune


Avec ses caprices, la Lune

Est comme une frivole amante ;

Elle sourit et se lamente,

Et vous fuit et vous importune.

La nuit, suivez-la sur la dune,

Elle vous raille et vous tourmente ;

Avec ses caprices, la Lune

Est comme une frivole amante.

Et souvent elle se met une

Nuée en manière de mante ;

Elle est absurde, elle est charmante ;

Il faut adorer sans rancune,

Avec ses caprices, la Lune.


La Nuit

Nous bénissons la douce Nuit,

Dont le frais baiser nous délivre.

Sous ses voiles on se sent vivre

Sans inquiétude et sans bruit.

Le souci dévorant s'enfuit,

Le parfum de l'air nous enivre ;

Nous bénissons la douce Nuit,

Dont le frais baiser nous délivre.

Pâle songeur qu'un Dieu poursuit,

Repose-toi, ferme ton livre.

Dans les cieux blancs comme du givre

Un flot d'astres frissonne et luit,

Nous bénissons la douce Nuit.


La Vie et la Mort

J'ai vu ces songeurs, ces poètes,
Ces frères de l'aigle irrité,
Tous montrant sur leurs nobles têtes
Le signe de la Vérité.

Et près d'eux, comme deux statues
Qui naquirent d'un même effort,
Se tenaient, de blancheur vêtues,
Deux vierges, la Vie et la Mort.

J'ai vu le mendiant Homère,
Le grand Eschyle au cœur sans fiel,
Chauve, et dans sa vieillesse amère
Insulté par le vent du ciel ;

J'ai vu le lyrique Pindare,
L'élève divin de Myrtis
Dont un roi prenait la cithare,
Comme le chevreau broute un lys ;

J'ai vu mon père Aristophane
Blessé par des mots odieux,
Et devant le peuple profane
Défendant Eschyle et ses Dieux ;

J'ai vu buvant la sombre lie
De ses calices triomphants,
Sophocle, accusé de folie
Et maltraité par ses enfants ;

J'ai vu portant l'affreux stigmate,
Ovide fugitif, buvant
Le lait d'une jument sarmate
Au désert glacé par le vent ;

J'ai vu Dante en exil, et Tasse
Abandonné par sa raison,
Collant sa face morne et lasse
Aux noirs barreaux de sa prison.

Pareil au lion qui soupire
Sous le vil fouet de ses gardiens,
Hélas ! j'ai vu le dieu Shakespeare
Aux gages des comédiens ;

J'ai vu Cervantès, pauvre esclave,
Au bagne exhalant ses sanglots,
Et Camoëns sanglant et hâve
Luttant dans l'écume des flots ;

J'ai vu, tant le destin se joue
En des caprices insensés,
Corneille marchant dans la boue
Avec ses souliers rapiécés,

Et Racine, cet idolâtre,
Tombant les regards éblouis
Par le tonnerre de théâtre
Que lançaient les yeux de Louis,

Et Chénier, dont le trait rapide
Atteignait sa victime au flanc,
Versant sur l'échafaud stupide
La belle pourpre de son sang.

Brillant de la splendeur première,
Tous ces grands exilés des cieux,
Tous ces hommes porte-lumière
Avaient des astres dans leurs yeux.

Lorsqu'elle frappait notre oreille
Avec le bruit du flot amer,
Leur voix immense était pareille
À la tumultueuse mer,

Et leur rire plein d'étincelles
Semblait lancer dans l'aquilon
Des flèches pareilles à celles
De l'archer Phœbus Apollon.

Pourtant sans foyer et sans joie,
Sous les cieux incléments et froids
Ils traînaient leur misère, proie
De la foule, ou jouet des rois.

Et dans ses colères, la Vie,
Brisant ce qui leur était cher,
D'une dent folle, inassouvie,
Mordait cruellement leur chair.

Les mettant dans la troupe vile
Des mendiants que nous raillons,
Elle les poussait dans la ville
Affublés de sombres haillons ;

Sur eux acharnée en sa rage,
Et voulant les réduire enfin,
Elle leur prodiguait l'outrage,
La pauvreté, l'exil, la faim,

Et les pourchassait, misérables
Qui n'espèrent plus de rachats,
Ayant tous leurs fronts vénérables
Souillés de ses impurs crachats !

Mais enfin la compagne sûre
Venait ; la radieuse Mort
Lavait tendrement la blessure
De leurs seins exempts de remord.

Ainsi que les mères farouches
Qui sont prodigues du baiser,
Elle les baisait sur leurs bouches
Doucement, pour les apaiser.

Sous leurs pas, ainsi qu'une Omphale,
Elle étendait au grand soleil
La rouge pourpre triomphale
Pour leur faire un tapis vermeil,

Et sur leurs fronts brillants de gloire
Devant le peuple meurtrier,
Avec ses belles mains d'ivoire
Elle attachait le noir laurier.


Premier soleil

Les lilas vont fleurir, et Ninon me querelle,
Et ce matin j'ai vu mademoiselle Ozy
Près des Panoramas déployer son ombrelle :
C'est que le triste hiver est bien mort, songez-y !

Voici dans le gazon les corolles ouvertes,
Le parfum de la sève embaumera les soirs,
Et devant les cafés, des rangs de tables vertes
Ont par enchantement poussé sur les trottoirs.

Bientôt, sous les forêts qu'argentera la lune,
S'envolera gaîment la nouvelle chanson ;
Nous y verrons courir la rousse avec la brune,
Et Musette et Nichette avec Mimi Pinson !

Bientôt tu t'enfuiras, ange Mélancolie,
Et dans le Bas-Meudon les bosquets seront verts.
Débouchez de ce vin que j'aime à la folie,
Et donnez-moi Ronsard, je veux lire des vers.

Par ces premiers beaux jours la campagne est en fête
Ainsi qu'une épousée, et Paris est charmant.
Chantez, petits oiseaux du ciel, et toi, poëte,
Parle ! nous t'écoutons avec ravissement.

C'est le temps où l'on mène une jeune maîtresse
Cueillir la violette avec ses petits doigts,
Et toute créature a le coeur plein d'ivresse,
Excepté les pervers et les marchands de bois


À Adolphe Gaïffe

Jeune homme sans mélancolie,
Blond comme un soleil d'Italie,
Garde bien ta belle folie.

C'est la sagesse ! Aimer le vin,
La beauté, le printemps divin,
Cela suffit. Le reste est vain.

Souris, même au destin sévère :
Et, quand revient la primevère,
Jettes-en les fleurs dans ton verre.

Au corps sous la tombe enfermé,
Que reste-t-il ? D'avoir aimé
Pendant deux ou trois mois de mai.

" Cherchez les effets et les causes ",
Nous disent les rêveurs moroses.
Des mots ! Des mots !... Cueillons les roses !