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COPPÉE, François


Ruines du cœur


Mon cœur était jadis comme un palais romain,

Tout construit de granits choisis, de marbres rares.

Bientôt les passions, comme un flot de barbares,

L’envahirent, la hache ou la torche à la main.


Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain.

Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares.

Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares ;

Et les ronces avaient effacé le chemin.


Je suis resté longtemps seul, devant mon désastre.

Des midis sans soleil, des minuits sans un astre,

Passèrent, et j’ai, là, vécu d’horribles jours ;


Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière,

Et, bravement, afin de loger nos amours,

Des débris du palais j’ai bâti ma chaumière.


Le banc


…..

Elle, les yeux baissés comme pour la prière,

Triste, joignant les mains sur son tablier blanc,

Resta longtemps rêveuse et seule sur le banc.

Lentement s’éloignait la fanfare importune;

Et, lorsque dans le ciel monta le clair de lune,

Je la vis, pâle encor du baiser de l’amant

Et les larmes aux yeux, écouter vaguement

La retraite s’éteindre au fond du crépuscule.


Et je n’ai pas trouvé cela si ridicule.


Adagio

La rue était déserte et donnait sur les champs.

Quand j'allais voir l'été les beaux soleils couchants

Avec le rêve aimé qui partout m'accompagne,

Je la suivais toujours pour gagner la campagne,

Et j'avais remarqué que, dans une maison

Qui fait l'angle et qui tient, ainsi qu'une prison,

Fermée au vent du soir son étroite persienne,

Toujours à la même heure, une musicienne

Mystérieuse, et qui sans doute habitait là,

Jouait l'adagio de la sonate en la.

Le ciel se nuançait de vert tendre et de rose.

La rue était déserte ; et le flâneur morose

Et triste, comme sont souvent les amoureux,

Qui passait, l'oeil fixé sur les gazons poudreux,

Toujours à la même heure, avait pris l'habitude

D'entendre ce vieil air dans cette solitude.

Le piano chantait sourd, doux, attendrissant,

Rempli du souvenir douloureux de l'absent

Et reprochant tout bas les anciennes extases.

Et moi, je devinais des fleurs dans de grands vases,

Des parfums, un profond et funèbre miroir,

Un portrait d'homme à l'oeil fier, magnétique et noir,

Des plis majestueux dans les tentures sombres,

Une lampe d'argent, discrète, sous les ombres,

Le vieux clavier s'offrant dans sa froide pâleur,

Et, dans cette atmosphère émue, une douleur

Épanouie au charme ineffable et physique

Du silence, de la fraîcheur, de la musique.

Le piano chantait toujours plus bas, plus bas.

Puis, un certain soir d'août, je ne l'entendis pas.

Depuis, je mène ailleurs mes promenades lentes.

Moi qui hais et qui fuis les foules turbulentes,

Je regrette parfois ce vieux coin négligé.

Mais la vieille ruelle a, dit-on, bien changé :

Les enfants d'alentour y vont jouer aux billes,

Et d'autres pianos l'emplissent de quadrilles.


Mois d'octobre

Avant que le froid glace les ruisseaux

Et voile le ciel de vapeurs moroses,

Écoute chanter les derniers oiseaux,

Regarde fleurir les dernières roses.

Octobre permet un moment encor

Que dans leur éclat les choses demeurent ;

Son couchant de pourpre et ses arbres d'or

Ont le charme pur des beautés qui meurent.

Tu sais que cela ne peut pas durer,

Mon cœur ! mais, malgré la saison plaintive,

Un moment encor tâche d'espérer

Et saisis du moins l'heure fugitive.

Bâtis en Espagne un dernier château,

Oubliant l'hiver, qui frappe à nos portes

Et vient balayer de son dur râteau

Les espoirs brisés et les feuilles mortes.

 

Le soir, au coin du feu ...


Le soir, au coin du feu, j’ai pensé bien des fois

À la mort d’un oiseau, quelque part, dans les bois.

Pendant les tristes jours de l’hiver monotone,

Les pauvres nids déserts, les nids qu’on abandonne,

Se balancent au vent sur un ciel gris de fer.

Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l’hiver !

Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes,

Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes

Dans le gazon d’avril, où nous irons courir.

Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir ?