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DUBY, Georges



Le temps des cathédrales

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L’homme du Xie siècle voit son roi comme un cavalier assurant au peuple, l’épée enmain, la justice et la paix. Mais il le voit aussi comme un sage et entend qu’il sache lire dansles livres. Dès que l’on se prit en Occident à tenir la monarchie pour une

renovatio , pour unerenaissance du pouvoir impérial, il ne fut plus permis aux souverains de demeurer illettréscomme l’étaient naguère leurs ancêtres barbares. Fut ressuscitée, afin qu’ils missent leur effort à s’y conformer, l’image idéale que Rome s’était construite du bon empereur, fontainede savoir et source de sagesse. « Il conserve dans son palais quantité de livres et, si par hasardla guerre lui laisse quelques loisirs, il les consacre à lire lui-même, passant de longues nuits àméditer parmi ses livres jusqu’à ce que le sommeil vienne le terrasser » : un chroniqueur deLimoges attribue ces pratiques exemplaires au duc d’Aquitaine, dont il veut, au seuil du XIesiècle, prouver qu’il est l’égal des rois. Mais déjà Eginhard avait montré Charlemagne, sonhéros, employant ses veilles à apprendre l’écriture ; le roi Alfred avait fait traduire en anglo-saxon, pour que les nobles de sa cour puissent les comprendre, les ouvrages latins des bibliothèques monastiques ; et Otton III, l’empereur de l’an mil, qui présidait aux débats dessavants, dialoguait avec le plus célèbre d’entre eux, Gerbert.

Toutefois, c’était le sacre qui avait noué véritablement l’alliance entre la dignitémonarchique et la culture écrite. Le souverain s’était intégré à l’Église. Or les prêtreschrétiens devaient nécessairement manier des livres puisque la parole de leur Dieu se trouvefixée dans des textes. Il importait donc que, sacré, le roi connût les lettres et qu’il fit éduquer comme un évêque celui de ses fils appelé à lui succéder dans sa magistrature. Hugues Capet,qui n’était pas encore roi mais qui aspirait à le devenir, avait placé l’aîné de ces garçons,Robert, auprès du même Gerbert, le meilleur maître de son temps, « afin qu’il lui inculquâtassez de connaissance des arts libéraux pour le rendre agréable au Seigneur par la pratique detoutes les saintes vertus ». Il appartenait encore au souverain, responsable du salut de son peuple, de veiller à ce que le corps ecclésiastique dont il était devenu membre fût de bonnequalité, donc instruit. Il dut, par conséquent, dans une société où la culture aristocratique,toute militaire, s’était entièrement détournée des études, soutenir les institutions qui formaientles clercs à leurs fonctions. Si, aujourd’hui encore, les petits enfants se représententCharlemagne en protecteur de l’école, réprimandant les mauvais élèves et posant une main paternelle sur le front des meilleurs, c’est qu’il avait voulu mieux que personne remplir lesdevoirs de son sacre, ordonnant qu’un lieu d’étude fût implanté près de chaque évêché et dechaque abbaye. Tous les souverains de l’an mil l’ont imité. Ils ont tenu à ce que lesmonastères et les églises cathédrales fussent bien pourvus de livres et de maîtres. Ils ontsouhaité établir dans leur palais le meilleur des centres scolaires. Parmi les fils del’aristocratie qui passaient à leur cour leur jeunesse, il fallait que ceux d’entre eux qui ne porteraient pas les armes et qui seraient établis dans les plus hautes dignités de l’Église,trouvassent dans le voisinage du roi la nourriture intellectuelle qui leur était indispensable.Les pouvoirs que Dieu déléguait au souverain impliquaient ce souci parmi les premiers et les plus pressants. A la royauté du Xie siècle, par conséquent, l’école demeurait étroitementconjointe. Enfin, pour deux raisons, parce que le monarque se considérait comme lesuccesseur des Césars, et davantage parce que Dieu, dans l’Écriture traduite par saint Jérôme,s’exprime dans le langage d’Auguste, la culture que diffusaient les écoles royales n’était pasl’actuelle ni l’indigène. Elle transmettait un héritage, celui que des générations révérencieusesavaient jalousement sauvegardé dans la nuit et dans les délabrements du haut Moyen Agecelui d’un âge d’or, celui de l’Empire latin. Elle était classique et maintenant vivant lesouvenir de Rome.

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