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CHATEAUBRIAND, René-François


La mer


Des vastes mers tableau philosophique,

Tu plais au coeur de chagrins agité :

Quand de ton sein par les vents tourmenté,

Quand des écueils et des grèves antiques

Sortent des bruits, des voix mélancoliques,

L’âme attendrie en ses rêves se perd,

Et, s’égarant de penser en penser,

Comme les flots de murmure en murmure,

Elle se mêle à toute la nature :

Avec les vents, dans le fond des déserts,

Elle gémit le long des bois sauvages,

Sur l’Océan vole avec les orages,

Gronde en la foudre, et tonne dans les mers.


Mais quand le jour sur les vagues tremblantes

S’en va mourir ; quand, souriant encor,

Le vieux soleil glace de pourpre et d’or

Le vert changeant des mers étincelantes,

Dans des lointains fuyants et veloutés,

En enfonçant ma pensée et ma vue,

J’aime à créer des mondes enchantés

Baignés des eaux d’une mer inconnue.

L’ardent désir, des obstacles vainqueur,

Trouve, embellit des rives bocagères,

Des lieux de paix, des îles de bonheur,

Où, transporté par les douces chimères,

Je m’abandonne aux songes de mon coeur.


La Forêt

Forêt silencieuse, aimable solitude,

Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré !

Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,

J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude !

Prestiges de mon cœur ! je crois voir s’exhaler

Des arbres, des gazons une douce tristesse :

Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,

Et dans le fond des bois semble encor m’appeler.

Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière

Ici, loin des humains !… Au bruit de ces ruisseaux,

Sur un tapis de fleurs, sur l’herbe printanière,

Qu’ignoré je sommeille à l’ombre des ormeaux !

Tout parle, tout me plaît sous ces voûtes tranquilles ;

Ces genêts, ornements d’un sauvage réduit,

Ce chèvrefeuille atteint d’un vent léger qui fuit,

Balancent tour à tour leurs guirlandes mobiles.

Forêts, dans vos abris gardez mes vœux offerts !

A quel amant jamais serez-vous aussi chères ?

D’autres vous rediront des amours étrangères ;

Moi de vos charmes seuls j’entretiens les déserts.



Nuit de printemps


Le ciel est pur, la lune est sans nuage :

Déjà la nuit au calice des fleurs

Verse la perle et l’ambre de ses pleurs ;

Aucun zéphyr n’agite le feuillage.

Sous un berceau, tranquillement assis,

Où le lilas flotte et pend sur ma tête,

Je sens couler mes pensers rafraîchis

Dans les parfums que la nature apprête.

Des bois dont l’ombre, en ces prés blanchissants,

Avec lenteur se dessine et repose,

Deux rossignols, jaloux de leurs accents,

Vont tour à tour réveiller le printemps

Qui sommeillait sous ces touffes de rose.

Mélodieux, solitaire Ségrais,

Jusqu’à mon cœur vous portez votre paix !

Des prés aussi traversant le silence,

J’entends au loin, vers ce riant séjour,

La voix du chien qui gronde et veille autour

De l’humble toit qu’habite l’innocence.

Mais quoi ! déjà, belle nuit, je te perds !

Parmi les cieux à l’aurore entrouverts,

Phébé n’a plus que des clartés mourantes,

Et le zéphyr, en rasant le verger,

De l’orient, avec un bruit léger,

Se vient poser sur ces tiges tremblantes.