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BIRNBAUM, Jean



La religion des faibles

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Mais, les parenthèses se multipliant, émergea progressivement l’idée coriace, ou plutôt la sensation solide, que la parenthèse importait. Qu’elle ne contenait pas que du vide. Qu’elle s’inscrivait, de plus en plus profondément, dans le phrasé de nos existences, lui conférait son rythme, sa tonalité. Que, du même coup, les mots qui la remplissaient (alerte, peur, corps…) n’étaient pas si différents de ceux qui tissent nos émotions, nos luttes quotidiennes. Après tout, le combat social n’est pas coupé de l’existence ordinaire ; à bien y réfléchir, il est même indissociable d’une culture commune, de principes transmis, d’un certain mode de vie.

Alors, ces hommes qui frappent l’Occident, qui prétendent détruire son impérialisme oppresseur, ses démocraties hypocrites, ses mœurs décadentes, ils s’en prennent à des institutions, à des valeurs que nous avons nous-mêmes souvent critiquées, voire fustigées. Mais ils ciblent aussi, maintenant nous le ressentons comme une évidence, quelque chose à quoi nous tenons : un ensemble de libertés, de mœurs et de gestes inventés au cours des deux derniers siècles ; cette culture libérale et démocratique à laquelle le socialisme devait offrir un juste accomplissement ; cette civilisation autrefois si sûre de son universalisme, et dont nous commençons à nous demander si elle n’aura pas constitué, à l’échelle planétaire, un particularisme local, et, dans l’histoire humaine, quelque chose comme une… parenthèse.

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