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RONSARD, Pierre de


Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas


Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas,

Mais tirez-moi le coeur de votre douce haleine ;

Non, ne le tirez pas, mais hors de chaque veine

Sucez-moi toute l'âme éparse entre vos bras ;


Non, ne la sucez pas ; car après le trépas

Que serais-je sinon une semblance vaine,

Sans corps, dessus la rive, où l'amour ne démène

(Pardonne-moi, Pluton) qu'en feintes ses ébats ?


Pendant que nous vivons, entr'aimons-nous, Marie,

Amour ne règne pas sur la troupe blêmie

Des morts, qui sont sillés d'un long somme de fer.


C'est abus que Pluton ait aimé Proserpine ;

Si doux soin n'entre point en si dure poitrine :

Amour règne en la terre et non point en enfer.


Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse


Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse :

Jà la gaie alouette au ciel a fredonné,

Et jà le rossignol doucement jargonné,

Dessus l’épine assis, sa complainte amoureuse.


Sus ! debout ! allons voir l’herbelette perleuse,

Et votre beau rosier de boutons couronné,

Et vos oeillets mignons auxquels aviez donné,

Hier au soir de l’eau, d’une main si soigneuse.


Harsoir en vous couchant vous jurâtes vos yeux

D’être plus tôt que moi ce matin éveillée :

Mais le dormir de l’Aube, aux filles gracieux,


Vous tient d’un doux sommeil encor les yeux sillée.

Çà ! çà ! que je les baise et votre beau tétin,

Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.


Pour boire dessus l’herbe tendre


Pour boire dessus l’herbe tendre,

Je veux sous un laurier m’étendre,

Et veux qu’amour d’un petit brin

ou de lin ou de chènevière

Trousse au flanc sa robe légère,

Et mi-nue, me verse du vin.


Je ne veux selon la coutume,

Que d’encens ma tombe on parfume,

Ni qu’on y verse des odeurs :

Mais tandis que je suis en vie,

J’ai de me parfumer envie,

Et de me couronner de fleurs.

L’incertaine vie de l’homme

De jour en jour se roule comme

Aux rives se roulent les flots.


Pour boire dessus l’herbe tendre,

Je veux sous un laurier m’étendre,

Et veux qu’amour d’un petit brin

ou de lin ou de chènevière,

Trousse au flanc sa robe légère,

Et mi-nue me verse du vin.



Chanson d’amour


…..

Quand je vois tant de couleurs

Et de fleurs

Qui émaillent un rivage,

Je pense voir le beau teint

Qui est peint

Si vermeil en son visage.


…..

Quand je sens parmi les prés

Diaprez 1

Les fleurs dont la terre est pleine,

Lors je fais croire à mes sens

Que je sens

La douceur de son haleine.


…..

1 . Diaprer : Varier.



Le Second Livre des Sonnets pour Helene, I


Soit qu'un sage amoureux ou soit qu'un sot me lise,

Il ne doit s'ébahir voyant mon chef grison.

Si je chante d'amour : toujours un vieil tison

Cache un germe de feu sous une cendre grise.


Le bois vert à grand-peine en le soufflant s'attise,

Le sec sans le souffler brûle en toute saison.

La Lune se gagna d'une blanche toison,

Et son vieillard Tithon l'Aurore ne méprise.


Lecteur, je ne veux être écolier de Platon

Qui la vertu nous prêche, et ne fait pas de même,

Ni volontaire Icare ou lourdaud Phaëthon,


Perdus pour attenter une sottise extrême;

Mais sans me contrefaire ou voleur ou charton,

De mon gré je me noie et me brûle moi-même.
…..


Si c'est aimer, Madame, et de jour, et de nuit

Si c'est aimer, Madame, et de jour, et de nuit

Rêver, songer, penser le moyen de vous plaire,

Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire

Qu'adorer et servir la beauté qui me nuit :


Si c'est aimer que de suivre un bonheur qui me fuit,

De me perdre moi-même et d'être solitaire,

Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre et me taire,

Pleurer, crier merci, et m'en voir éconduit :


Si c'est aimer que de vivre en vous plus qu'en moi-même,

Cacher d'un front joyeux, une langueur extrême,

Sentir au fond de l'âme un combat inégal,

Chaud, froid, comme la fièvre amoureuse me traite :


Honteux, parlant à vous de confesser mon mal !

Si cela est aimer : furieux je vous aime :

Je vous aime et sait bien que mon mal est fatal :

Le coeur le dit assez, mais la langue est muette.


Afin que ton honneur coule parmi la plaine

Afin que ton honneur coule parmi la plaine

Autant qu’il monte au Ciel engravé dans un Pin,

Invoquant tous les Dieux, et répandant du vin,

Je consacre à ton nom cette belle Fontaine.


Pasteurs, que vos troupeaux frisés de blanche laine

Ne paissent à ces bords : y fleurisse le Thym,

Et la fleur, dont le maître eut si mauvais destin,

Et soit dite à jamais la Fontaine d’Hélène.


Le Passant en Été s’y puisse reposer,

Et assis dessus l’herbe à l’ombre composer

Mille chansons d’Hélène, et de moi lui souvienne.


Quiconques en boira, qu’amoureux il devienne :

Et puisse, en la humant, une flamme puiser

Aussi chaude, qu’au cœur je sens chaude la mienne.



Maîtresse, embrasse-moi, baise-moi, serre-moi

Maîtresse, embrasse-moi, baise-moi, serre-moi,

Haleine contre haleine, échauffe-moi la vie,

Mille et mille baisers donne-moi je te prie,

Amour veut tout sans nombre, amour n'a point de loi.

Baise et rebaise-moi ; belle bouche pourquoi

Te gardes-tu là-bas, quand tu seras blêmie,

A baiser (de Pluton ou la femme ou l'amie),

N'ayant plus ni couleur, ni rien semblable à toi ?

En vivant presse-moi de tes lèvres de roses,

Bégaie, en me baisant, à lèvres demi-closes

Mille mots tronçonnés, mourant entre mes bras.


Je mourrai dans les tiens, puis, toi ressuscitée,

Je ressusciterai ; allons ainsi là-bas,

Le jour, tant soit-il court, vaut mieux que la nuitée.


Mignonne, allons voir si la rose

À CASSANDRE

Mignonne, allons voir si la rose

Qui ce matin avait déclose

Sa robe de pourpre au soleil,

A point perdu cette vesprée,

Les plis de sa robe pourprée,

Et son teint au vôtre pareil.

Las ! voyez comme en peu d’espace,

Mignonne, elle a dessus la place

Las ! las ! ses beautés laissé choir !

Ô vraiment marâtre Nature,

Puis qu’une telle fleur ne dure

Que du matin jusques au soir !


Donc, si vous me croyez, mignonne,

Tandis que vôtre âge fleuronne

En sa plus verte nouveauté,

Cueillez, cueillez votre jeunesse :

Comme à cette fleur la vieillesse

Fera ternir votre beauté.


Amours de Cassandre

Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous bocages verts,

Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes,
Vallons bossus et plages blondoyantes,
Et vous rochers, les hôtes de mes vers,

Puis qu'au partir, rongé de soin et d'ire,
A ce bel oeil Adieu je n'ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi,

Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.


Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,

Assise auprès du feu, dévidant et filant,

Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :

« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! »

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,

Déjà sous le labeur à demi sommeillant,

Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,

Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serais sous la terre, et, fantôme sans os,

Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;

Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.

Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :

Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.


Comme on voit sur la branche au mois de may la rose

Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose ;

La grace dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur ;
Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille déclose.

Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuee, et cendre tu reposes.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.


Avant le temps tes temples fleuriront

Avant le temps tes temples fleuriront

De peu de jours ta fin sera bornée,

Avant le soir se clora ta journée,

Trahis d'espoir tes pensers périront;

Sans me fléchir tes écrits flétriront,

En ton désastre ira ma destinée,

Pour abuser les poètes je suis née,

De tes soupirs nos neveux se riront.

Tu seras fait du vulgaire la fable,

Tu bâtiras sus l'incertain du sable,

Et vainement tu peindras dans les Cieux!

Ainsi disait la Nymphe qui m'affole,

Lors que le Ciel témoin de sa parole,

D'un dextre éclair fut présage à mes yeux


Comme un Chevreuil

Comme un Chevreuil, quand le printemps détruit

L’oiseux cristal de la morne gelée,

Pour mieux brouter l’herbette emmiellée

Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit,

Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit,

Or sur un mont, or dans une vallée,

Or près d’une onde à l’écart recelée,

Libre folâtre où son pied le conduit :

De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte,

Sinon alors que sa vie est atteinte,

D’un trait meurtrier empourpré de son sang :

Ainsi j’allais sans espoir de dommage,

Le jour qu’un oeil sur l’avril de mon âge

Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.


Je n’ai plus que les os

Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,

Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,

Que le trait de la mort sans pardon a frappé,

Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,

Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;

Adieu, plaisant Soleil, mon oeil est étoupé,

Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.

Quel ami me voyant en ce point dépouillé

Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,

Me consolant au lit et me baisant le face,

En essuyant mes yeux par la mort endormis ?

Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,

Je m’en vais le premier vous préparer la place.


Sonnet à Marie

Je vous envoie un bouquet que main

Vient de trier de ces fleurs épanouies ;

Qui ne les eût à ce vêpres cueillies,

Chutes à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain

Que vos beautés, bien qu’elles soient fleuries,

En peu de temps cherront, toutes flétries,

Et, comme fleurs, périront tout soudain.

Le temps s’en va, le temps s’en va, ma dame

Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,

Et tôt serons étendus sous la lame ;

Et des amours desquelles nous parlons,

Quand serons morts, n’en sera plus nouvelle.

Pour c’aimez-moi cependant qu’êtes belle.


Plût-il à Dieu n’avoir jamais tâté

Plût-il à Dieu n’avoir jamais tâté

Si follement le tétin de m’amie !

Sans lui vraiment l’autre plus grande envie,

Hélas ! ne m’eût, ne m’eût jamais tenté.

Comme un poisson, pour s’être trop hâté,

Par un appât, suit la fin de sa vie,

Ainsi je vois où la mort me convie,

D’un beau tétin doucement apâté.

Qui eût pensé, que le cruel destin

Eût enfermé sous un si beau tétin

Un si grand feu, pour m’en faire la proie ?

Avisez donc, quel serait le coucher

Entre ses bras, puisqu’un simple toucher

De mille morts, innocent, me foudroie.


Bonjour mon cœur

Bonjour mon coeur, bonjour ma douce vie.

Bonjour mon oeil, bonjour ma chère amie,

Hé ! bonjour ma toute belle,

Ma mignardise, bonjour,

Mes délices, mon amour,

Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,

Mon doux plaisir, ma douce colombelle,

Mon passereau, ma gente tourterelle,

Bonjour, ma douce rebelle.

Hé ! faudra-t-il que quelqu'un me reproche

Que j'aie vers toi le coeur plus dur que roche

De t'avoir laissée, maîtresse,

Pour aller suivre le Roi,

Mendiant je ne sais quoi

Que le vulgaire appelle une largesse ?

Plutôt périsse honneur, court, et richesse,

Que pour les biens jamais je te relaisse,

Ma douce et belle déesse.