LIEBMAN , Marcel



Le droit d’exister

Source : Hebdo 77 N° 61/1977

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Cette sympathie n'a guère de rapport avec le dossier israélo-arabe lui-même. La donnée qu'on lui ajoute n'a rien à voir avec la politique de l'impérialisme dans cette

partie du monde, ni avec l'actualité dans un quelconque de ses aspects. Cette pièce supplémentaire tient en un mot, en un seul : Auschwitz. Israël peut s'armer au-delà de toute limite raisonnable, accumuler des pratiques annexionnistes, afficher, sans beaucoup de vergogne, une espèce de théocratisme anachronique, opérer des discriminations raciales nombreuses. Tout cela est justifié, avalisé ou tu, au nom des souffrances subies en Europe pendant – et avant – la guerre par les communautés juives. Que les Arabes n'y aient point eu part est une circonstance que l'on ne consent pas à relever. Il y a une dette que l'Europe doit acquitter envers les Juifs. Mais ce ne sont pas les Européens qui s'en chargent. Ce sont les Palestiniens. En termes concrets, voilà ce que cela signifie. Comme si les Palestiniens n'existaient pas


La création d'un Etat juif en Palestine est le fruit d'une décision prise en 1947 par l'ONU. C'est sur cet acte de naissance qu'Israël fonde sa légitimité. Pendant les débats qui précédèrent le vote de l'Assemblée générale, la monstrueuse persécution antisémite, oeuvre des nazis, fut largement évoquée. Mais personne ne songea à interroger les Palestiniens eux-mêmes sur leurs aspirations nationales et sur leurs réactions face à l'installation dans leur pays d'une entité politique nouvelle et qui leur était étrangère. Il est vrai qu'à l'époque l'idéologie colonialiste continuait à dominer le monde et qu'il paraissait à bien des Etats que prendre l'avis d'un peuple de type colonisé était une procédure totalement superflue. Les Etats arabes n'acceptèrent pas la décision de l'ONU qu'ils jugeaient à tout le moins contraire à l'esprit de la Charte, mais Israël parvint à s'imposer militairement. Les conséquences pour les Palestiniens furent dramatiques. Les hostilités ayant provoqué un départ des populations arabes, les Israéliens refusèrent de les réinstaller sur leurs terres. L'Organisation des Nations Unies eut beau multiplier les résolutions affirmant le droit qu'avaient ces réfugiés à retrouver leurs terres et leurs foyers, rien n'y fit. Les Palestiniens sont, depuis lors et dans une large mesure, une nation de déracinés qui peuple les camps sans se résigner à un exil définitif.

Le sort des Arabes de Palestine restés dans leurs villes et dans leurs villages n'est guère plus enviable. Un demi million fait aujourd'hui partie de l'Etat israélien. Mais ce sont des citoyens discriminés et spoliés. Il serait fastidieux d'énumérer tous les

domaines auxquels s'applique une politique israélienne qui, dans un Etat juif, fait des alestiniens les « Juifs du Moyen-Orient ». Il y a une tentative de déculturation qui aboutit à éliminer dans une très large mesure des Israéliens arabes des Universités et des établissements d'enseignement supérieur1. Il y a, sur le plan politique, l'interdiction de créer des partis arabes. Il y a, dans le domaine social et économique, un ensemble de mesures qui font des Arabes une réserve de main-d'oeuvre et un prolétariat sous

payé. Il y a, enfin, une entreprise constante de « Judaïsation » du pays, par le biais de confiscations de terres et d'autres mesures d'expropriation. Tout cela sans compter l'occupation de nouveaux territoires arabes à la suite de la guerre de 67. Israël ne parait pas disposé à les évacuer, fût-ce contre l'établissement de la paix dans cette région du monde.

La conclusion éventuelle de cette paix illustre elle aussi la négation des droits palestiniens. La tentation est grande de rechercher un accord de compromis entre les Etats arabes et l'Etat israélien. Cela n'a, en soi, rien de scandaleux. Mais que penser d'une paix qui résulterait d'une négociation dont les Palestiniens seraient écartés ? Or, c'est exactement cela qu'exigent les Israéliens qui se refusent toujours à reconnaître à ces hommes - à cette nation - le droit d'avoir leur Etat. Ce qui plus est, les Israéliens ne sont pas seuls. Ils trouvent un appui constant auprès des Etats-Unis. Mais la résistance palestinienne étant considérée par beaucoup d'Etats de la région comme un facteur d’« instabilité » politique et sociale, une source d'agitation populaire, le sionisme et l'impérialisme peuvent s'appuyer sur des complicités dans le monde arabe lui-même.

Les péripéties dramatiques de la guerre civile libanaise le prouvent à suffisance.

Nul ne peut aujourd'hui prédire le sort qui sera fait à la revendication nationale du peuple palestinien. Mais s'avance-t-on trop lorsqu'on pronostique, qu'à moyen et à long terme, le Moyen-Orient ne trouvera le calme et la paix que si, dans l'application des Droits des hommes et des peuples, on cesse. de traiter les Palestiniens comme s’ils n'existaient pas ?

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