DORION, Hélène
Mes forêts
Mes forêts sont de longues traînées de temps
elles sont des aiguilles qui percent la terre
déchirent le ciel
avec des étoiles qui tombent
comme une histoire d’orage
elles glissent dans l’heure bleue
un rayon vif de souvenirs
l’humus de chaque vie où se pose
légère une aile
qui va au cœur
mes forêts sont des greniers peuplés de fantômes
elles sont les mâts de voyages immobiles
un jardin de vent où se cognent les fruits
d’une saison déjà passée
qui s’en retourne vers demain
mes forêts sont mes espoirs debout
un feu de brindilles
et de mots que les ombres font craquer
dans le reflet figé de la pluie
mes forêts
sont des nuits très hautes.
J’ai donc parcouru...
J’ai donc parcouru le chemin du monde
qui, de l’argile à l’or, va
d’une mer à l’autre, relie l’entière Terre.
J’ai regardé monter la marée, l’ai vue redescendre ;
j’ai appris la leçon du souffle
su que l’envers et l’endroit sont mêmes
et ainsi, leçons d’amour et de vérité.
À la céleste géométrie, mon corps fut accordé.
Entre le Tigre et l’Euphrate, j’entendis l’oracle.
Temples, pyramides, je visitai ;
lu tous traités de Terre et de Ciel.
Sur le monde, j’ai fermé les yeux
et vu le monde : racine et branche et bourgeon
— l’invisible, au cœur du visible, qui agit.
Fermant les yeux, j’ai vu, et touché
étant touchée : telles feuille et marée.
La Terre était ronde, et ronde, notre danse.
Les mondes étaient pluriels, le temps
venait de leur simultanéité.
Sur le grand balancier du voyage
mes trois destins reposaient ;
chaque jour Serpent, Corneille, Araignée
en mesuraient l’équilibre.
Il me fut offert de me recueillir
et — sans réponse — de vivre.
J’habitai la lumière de chaque chose
et l’ombre qui témoigne de son passage.
À cette heure où la lune se lève à l’est
alors qu’au revers retombe le soleil
d’une saison à une autre, je tourne
dans cette histoire de l’Un et du Multiple
où germe comme grain et la fonde
toute minuscule, la vie.
Il fait un temps de bourrasques
Il fait un temps de bourrasques et de cicatrices
un temps de séisme et de chute
les promesses tombent
comme des vagues
sur aucune rive
les oiseaux demandent refuge
à la terre ravagée
nos jardins éteints
entre l’odeur de rose et de lavande
il fait un temps de verre éclaté
d’écrans morts de nord perdu
un temps de pourquoi de comment
tout un siècle à défaire le paysage
mon champ soulève la poussière
de spectacle muet
comme un trou béant
dans la maison noire des mots/
il fait un temps jamais assez
un temps plus encore et encore
plus encore
plus
on ne pourra pas toujours
tout refaire
dans ce temps de bile et d’éboulis
les forêts tremblent
sous nos pas
la nuit approche