BOILEAU, Nicolas



Amitié Fidèle

(Sur la mort d’Iris en 1654.)

Parmi les doux transports d’une amitié fidèle,
Je voyais près d’Iris couler mes heureux jours:
Iris que j’aime encore, et que j’aimerai toujours,
Brûlait des mêmes feux dont je brûlais pour elle:

Quand, par l’ordre du ciel, une fièvre cruelle
M’enleva cet objet de mes tendres amours;
Et, de tous mes plaisirs interrompant le cours,
Me laissa de regrets une suite éternelle.

Ah! qu’un si rude coup étonna mes esprits!
Que je versais de pleurs! que je poussais de cris!
De combien de douleurs ma douleur fut suivie!

Iris, tu fus alors moins à plaindre que moi:
Et, bien qu’un triste sort t’ait fait perdre la vie,
Hélas! en te perdant j’ai perdu plus que toi.



À Climène


Tout me fait peine,

Et depuis un jour

Je crois, Climène,

Que j’ai de l’amour.

Cette nouvelle

Vous met en courroux.

Tout beau, cruelle,

Ce n’est pas pour vous!


SATIRE VIII


Sur l’homme
…..
Quiconque est riche est tout : sans sagesse il est sage

Il a, sans rien savoir, la science en partage :

Il a l’esprit, le cœur, le mérite, le rang,

La vertu, la valeur, la dignité, le sang.

Il est aimé des grands, il est chéri des belles :

Jamais surintendant ne trouva de cruelles.

L’or même à la laideur donne un teint de beauté,

Mais tout devient affreux avec la pauvreté. »
…..


À M. De Lamoignon


Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,

Et contre eux la campagne est mon unique asile.

Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ?

C'est un petit village, ou plutôt un hameau,

Bâti sur le penchant d'un long rang de collines,

D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines.

La Seine, au pied des monts que son flot vient laver,

Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever,

Qui, partageant son cours en diverses manières,

D'une rivière seule y forment vingt rivières.

Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,

Et de noyers souvent du passant insultés.

Le village au-dessus forme un amphithéâtre :

L'habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre ;

Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément,

Chacun sait de sa main creuser son logement.

La maison du seigneur, seule un peu plus ornée,

Se présente au dehors de murs environnée.

Le soleil en naissant la regarde d'abord,

Et le mont la défend des outrages du nord.


C'est là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille

Met à profit les jours que la Parque me file.

Ici dans un vallon bornant tous mes désirs,

J'achète à peu de frais de solides plaisirs.

Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,

J'occupe ma raison d'utiles rêveries :

Tantôt, cherchant la fin d'un vers que je construis,

Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui ;

Quelquefois, aux appas d'un hameçon perfide,

J'amorce en badinant le poisson trop avide ;

Ou d'un plomb qui suit l'œil, et part avec l'éclair,

Je vais faire la guerre aux habitants de l'air.

Une table au retour, propre et non magnifique,

Nous présente un repas agréable et rustique :

Là, sans s'assujettir aux dogmes du Broussain,

Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange est sain ;

La maison le fournit, la fermière l'ordonne,

Et mieux que Bergerat l'appétit l'assaisonne.

Ô fortuné séjour ! ô champs aimés des cieux !

Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,

Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,

Et connu de vous seuls oublier tout le monde !

…..