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MOLIERE


Dom Juan

.....
Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs.

.....


Le Misanthrope


Acte I, Scène 1

…..
ALCESTE
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode

Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;

Et je ne haïs rien tant que les contorsions

De tous ces grands faiseurs de protestations,

Ces affables donneurs d’embrassades frivoles[10],

Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,

Qui de civilités avec tous font combat,

Et traitent du même air l’honnête homme et le fat.

Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,

Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,

Et vous fasse de vous un éloge éclatant,

Lorsque au premier faquin il court en faire autant?

Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située

Qui veuille d'une estime ainsi prostituée:

Et la plus glorieuse a des régals peu chers,

Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers:

Sur quelque préférence une estime se fonde,

Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.

Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,

Morbleu! Vous n'êtes pas pour être de mes gens;

Je refuse d'un coeur la vaste complaisance

Qui ne fait de mérite aucune différence;

Je veux qu'on me distingue; et pour le trancher net,

L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.

.....
PHILINTE

Il est bien des endroits où la pleine franchise

Deviendrait ridicule, et serait peu permise ;

Et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,

Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.

Serait-il à propos, et de la bienséance,

De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ?

Et quand on a quelqu’un qu’on haït ou qui déplaît

Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ?

.....
ALCESTE

Je ne me moque point,

Et je vais n’épargner personne sur ce point.

Mes yeux sont trop blessés ; et la cour, et la ville,

Ne m’offrent rien qu’objets à m’échauffer la bile :

J’entre en une humeur noire, en un chagrin profond,

Quand je vois vivre entre eux, les hommes comme ils font ;

Je ne trouve, partout, que lâche flatterie,

Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie ;

Je n’y puis plus tenir, j’enrage, et mon dessein

Est de rompre en visière à tout le genre humain.

.....
Non, elle est générale, et je hais tous les hommes :

Les uns, parce qu’ils sont méchants, et malfaisants ;

Et les autres, pour être aux méchants, complaisants,

Et n’avoir pas, pour eux, ces haines vigoureuses

Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.

De cette complaisance, on voit l’injuste excès,

Pour le franc scélérat avec qui j’ai procès ;

Au travers de son masque, on voit à plein le traître,

Partout, il est connu pour tout ce qu’il peut être ;

Et ses roulements d’yeux, et son ton radouci,

N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici.

On sait que ce pied plat, digne qu’on le confonde,

Par de sales emplois, s’est poussé dans le monde :

Et, que, par eux, son sort, de splendeur revêtu,

Fait gronder le mérite, et rougir la vertu.

Quelques titres honteux qu’en tous lieux on lui donne,

Son misérable honneur ne voit, pour lui, personne :

Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit,

Tout le monde en convient, et nul n’y contredit.

Cependant, sa grimace est, partout, bienvenue,

On l’accueille, on lui rit ; partout, il s’insinue ;

Et s’il est, par la brigue, un rang à disputer,

Sur le plus honnête homme, on le voit l’emporter.

Têtebleu, ce me sont de mortelles blessures,

De voir qu’avec le vice on garde des mesures ;

Et, parfois, il me prend des mouvements soudains,

De fuir, dans un désert, l’approche des humains.

…..

Acte III, Scène 1

…..
ACASTE
…..
Je suis adroit; j'ai bon air, bonne mine,

Les dents belles surtout, et la taille fort fine.

Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter,

Qu'on serait mal venu de me le disputer.

Je me vois dans l'estime autant qu'on y puisse être,

Fort aimé du beau sexe, et bien auprès du maître.

Je crois qu'avec cela, mon cher marquis, je crois

Qu'on peut, par tout pays, être content de soi.

…..
C'est aux gens mal tournés, aux mérites vulgaires,

A brûler constamment pour des beautés sévères,

A languir à leurs pieds et souffrir leurs rigueurs,

A chercher le secours des soupirs et des pleurs,

Et tâcher, par des soins d'une très longue suite,

D'obtenir ce qu'on nie à leur peu de mérite.

…..


Tartuffe

Scène III


Moins on mérite un bien, moins on l’ose espérer.

Nos vœux sur des discours ont peine à s’assurer.

On soupçonne aisément un sort tout plein de gloire,

Et l’on veut en jouir avant que de le croire.

Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,

Je doute du bonheur de mes témérités ;

Et je ne croirai rien, que vous n’ayez, Madame,

Par des réalités su convaincre ma flamme.


Elmire

Mon Dieu, que votre amour en vrai tyran agit,

Et qu’en un trouble étrange il me jette l’esprit !

Que sur les cœurs il prend un furieux empire,

Et qu’avec violence il veut ce qu’il desire !

Quoi ? de votre poursuite on ne peut se parer,

Et vous ne donnez pas le temps de respirer ?

Sied-il bien de tenir une rigueur si grande,

De vouloir sans quartier les choses qu’on demande,

Et d’abuser ainsi par vos efforts pressants

Du foible que pour vous vous voyez qu’ont les gens ?


Tartuffe

Mais si d’un œil bénin vous voyez mes hommages,

Pourquoi m’en refuser d’assurés témoignages ?


Elmire

Mais comment consentir à ce que vous voulez,

Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez ?


Tartuffe

Si ce n’est que le Ciel qu’à mes vœux on oppose,

Lever un tel obstacle est à moi peu de chose,

Et cela ne doit pas retenir votre cœur.


Elmire

Mais des arrêts du Ciel on nous fait tant de peur !

Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,

Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.

Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ;

(C’est un scélérat qui parle.)


Mais on trouve avec lui accommodements ;

Selon divers besoins, il est une science

D’étendre les liens de notre conscience

Et de rectifier le mal de l’action

Avec la pureté de notre intention.

De ces secrets, Madame, on saura vous instruire ;

Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.

Contentez mon desir, et n’ayez point d’effroi :

Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.

Vous toussez fort, Madame.

.....

Scène IV


Cléante

Je sortais, et j’ai joie à vous voir de retour.

La campagne à présent n’est pas beaucoup fleurie.

Orgon

Dorine… (À Cléante.) Mon beau-frère, attendez, je vous prie.

Vous voulez bien souffrir, pour m’ôter de souci,

Que je m’informe un peu des nouvelles d’ici.

(À Dorine.)

Tout s’est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ?

Qu’est-ce qu’on fait céans ? comme est-ce qu’on s’y porte ?

Dorine

Madame eut avant-hier la fièvre jusqu’au soir,

Avec un mal de tête étrange à concevoir.

Orgon

Et Tartuffe ?

Dorine

Tartuffe ! Il se porte à merveille,

Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille.

Orgon

Le pauvre homme !

Dorine

Le soir elle eut un grand dégoût,

Et ne put, au souper, toucher à rien du tout,

Tant sa douleur de tête était encor cruelle !

Orgon

Et Tartuffe ?

Dorine

Il soupa, lui tout seul, devant elle ;

Et fort dévotement il mangea deux perdrix,

Avec une moitié de gigot en hachis.

Orgon

Le pauvre homme !

.....


L’Avare
…..
HARPAGON, LA FLÈCHE.

…..
HARPAGON: Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence.

LA FLÈCHE: Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je pense, sauf correction, qu'il a le diable au corps.

HARPAGON: Tu murmures entre tes dents.

LA FLÈCHE: Pourquoi me chassez-vous?

HARPAGON: C'est bien à toi, pendard, à me demander des raisons: sors vite, que je ne t'assomme.

LA FLÈCHE: Qu'est-ce que je vous ai fait?

HARPAGON: Tu m'as fait que je veux que tu sortes.

LA FLÈCHE: Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre.

HARPAGON: Va-t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires, un traître, dont les yeux maudits assiégent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous côtés pour voir s'il n'y a rien à voler.

LA FLÈCHE: Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit?

HARPAGON: Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu'on fait? Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent. Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez moi de l'argent caché?

LA FLÈCHE: Vous avez de l'argent caché?

HARPAGON: Non, coquin, je ne dis pas cela. (à part.) J'enrage. Je demande si malicieusement tu n'irais point faire courir le bruit que j'en ai.

LA FLÈCHE: Hé! que nous importe que vous en ayez ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose?

HARPAGON: Tu fais le raisonneur. Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. (Il lève la main pour lui donner un soufflet.) Sors d'ici, encore une fois.

LA FLÈCHE: Hé bien! je sors.

HARPAGON: Attends. Ne m'emportes-tu rien?

LA FLÈCHE: Que vous emporterais-je?

HARPAGON: Viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.

LA FLÈCHE: Les voilà.

HARPAGON: Les autres.

LA FLÈCHE: Les autres?

HARPAGON: Oui.

LA FLÈCHE: Les voilà.

HARPAGON: N'as-tu rien mis ici dedans?

LA FLÈCHE: Voyez vous-même.

HARPAGON. Il tâte le bas de ses chausses: Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des choses qu'on dérobe; et je voudrais qu'on en eût fait pendre quelqu'un.

LA FLÈCHE: Ah! qu'un homme comme cela mériterait bien ce qu'il craint! et que j'aurais de joie à le voler!

HARPAGON: Euh?

LA FLÈCHE: Quoi?

HARPAGON: Qu'est-ce que tu parles de voler?

LA FLÈCHE: Je dis que vous fouilliez bien partout, pour voir si je vous ai volé.

HARPAGON: C'est ce que je veux faire.

Il fouille dans les poches de LA FLÈCHE.

LA FLÈCHE: La peste soit de l'avarice et des avaricieux!

HARPAGON: Comment? que dis-tu?

LA FLÈCHE: Ce que je dis?

HARPAGON: Oui: qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'avaricieux?

LA FLÈCHE: Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux.

HARPAGON: De qui veux-tu parler?

LA FLÈCHE: Des avaricieux.

HARPAGON: Et qui sont-ils ces avaricieux?

LA FLÈCHE: Des vilains et des ladres.

HARPAGON: Mais qui est-ce que tu entends par là?

LA FLÈCHE: De quoi vous mettez-vous en peine?

HARPAGON: Je me mets en peine de ce qu'il faut.

LA FLÈCHE: Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous?

HARPAGON: Je crois ce que je crois; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela.

LA FLÈCHE: Je parle. Je parle à mon bonnet.

HARPAGON: Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette.

LA FLÈCHE: M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux?

HARPAGON: Non; mais je t'empêcherai de jaser, et d'être insolent. Tais-toi.

LA FLÈCHE: Je ne nomme personne.

HARPAGON: Je te rosserai, si tu parles.

LA FLÈCHE: Qui se sent morveux, qu'il se mouche.

HARPAGON: Te tairas-tu?

LA FLÈCHE: Oui, malgré moi.

HARPAGON: Ha, ha!

LA FLÈCHE, lui montrant une des poches de son justaucorps: Tenez, voilà encore une poche: êtes-vous satisfait?

HARPAGON: Allons, rends-le-moi sans te fouiller.

LA FLÈCHE: Quoi?

HARPAGON: Ce que tu m'as pris.

LA FLÈCHE: Je ne vous ai rien pris du tout.

HARPAGON: Assurément?

LA FLÈCHE: Assurément.

HARPAGON: Adieu: va-t'en à tous les diables.

LA FLÈCHE: Me voilà fort bien congédié.

HARPAGON: Je te le mets sur ta conscience, au moins. Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort, et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là.

….

HARPAGON (Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau.) : Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? N’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin… (il se prend lui-même le bras.) Ah ! C’est moi. Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! Mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde : sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait, je n’en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N’y a-t--il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris? Euh ? Que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin on ait épié l’heure ; et l’on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute la maison : à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh ! De quoi est-ce qu’on parle là ? De celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part sans doute au vol que l’on m’a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.

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Le médecin malgré lui

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VALÈRE.- Monsieur, il ne faut pas trouver étrange que nous venions à vous : les habiles gens sont toujours recherchés, et nous sommes instruits de votre capacité.

SGANARELLE.- Il est vrai, Messieurs, que je suis le premier homme du monde, pour faire des fagots.

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SGANARELLE. - Or ces vapeurs dont je vous parle venant à passer, du côté gauche, où est le foie, au côté droit, où est le cœur, il se trouve que le poumon, que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu, heu, cubile, rencontre en son chemin lesdites vapeurs, qui remplissent les ventricules de l'omoplate; et parce que lesdites vapeurs... comprenez bien ce raisonnement, je vous prie; et parce que lesdites vapeurs ont une certaine malignité... Soyez attentif, je vous en conjure.

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Le malade imaginaire

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ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d'apothicaire avec des jetons; il fait parlant à lui-même les dialogues suivants .

Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. «Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur7.» Ce qui me plaît, de Monsieur Fleurant mon apothicaire, c'est que ses parties sont toujours fort civiles. «Les entrailles de Monsieur, trente sols». Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce n'est pas tout que d'être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement, je suis votre serviteur8, je vous l'ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu'à vingt sols, et vingt sols en langage d'apothicaire, c'est-à-dire dix sols; les voilà, dix sols. «Plus dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon double9, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols;» avec votre permission, dix sols. «Plus dudit jour le soir un julep hépatique, soporatif, et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente-cinq sols;» je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix-sept sols, six deniers. «Plus du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse10 récente avec séné levantin, et autres, suivant l'ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres.»

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Acte III, SCÈNE IV

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MONSIEUR FLEURANT, une seringue à la main, ARGAN, BÉRALDE.

ARGAN.- Ah ! mon frère, avec votre permission.

BÉRALDE.- Comment, que voulez-vous faire ?

ARGAN.- Prendre ce petit lavement-là, ce sera bientôt fait.

BÉRALDE.- Vous vous moquez. Est-ce que vous ne sauriez être un moment sans lavement, ou sans médecine ? Remettez cela à une autre fois, et demeurez un peu en repos.

ARGAN.- Monsieur Fleurant, à ce soir, ou à demain au matin.

MONSIEUR FLEURANT, à Béralde .- De quoi vous mêlez-vous de vous opposer aux ordonnances de la médecine, et d’empêcher Monsieur de prendre mon clystère ? Vous êtes bien plaisant d’avoir cette hardiesse-là !

BÉRALDE.- Allez, Monsieur, on voit bien que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages.

MONSIEUR FLEURANT.- On ne doit point ainsi se jouer des remèdes, et me faire perdre mon temps. Je ne suis venu ici que sur une bonne ordonnance, et je vais dire à Monsieur Purgon comme on m’a empêché d’exécuter ses ordres, et de faire ma fonction. Vous verrez, vous verrez...

ARGAN.- Mon frère, vous serez cause ici de quelque malheur.

BÉRALDE.- Le grand malheur de ne pas prendre un lavement, que Monsieur Purgon a ordonné. Encore un coup, mon frère, est-il possible qu’il n’y ait pas moyen de vous guérir de la maladie des médecins, et que vous vouliez être toute votre vie enseveli dans leurs remèdes ?

ARGAN.- Mon Dieu, mon frère, vous en parlez comme un homme qui se porte bien ; mais si vous étiez à ma place, vous changeriez bien de langage. Il est aisé de parler contre la médecine, quand on est en pleine santé.

BÉRALDE.- Mais quel mal avez-vous ?

ARGAN.- Vous me feriez enrager. Je voudrais que vous l’eussiez, mon mal, pour voir si vous jaseriez tant. Ah ! voici Monsieur Purgon.

…..


Le bourgeois gentilhomme


SCÈNE V

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LUCILE, MONSIEUR JOURDAIN, DORANTE, DORIMÈNE, etc.

MONSIEUR JOURDAIN.- Venez, ma fille, approchez-vous, et venez donner votre main à Monsieur, qui vous fait l’honneur de vous demander en mariage.

LUCILE.- Comment, mon père, comme vous voilà fait ! Est-ce une comédie que vous jouez ?

MONSIEUR JOURDAIN.- Non, non, ce n’est pas une comédie, c’est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d’honneur pour vous qui se peut souhaiter. Voilà le mari que je vous donne.

LUCILE.- À moi, mon père !

MONSIEUR JOURDAIN.- Oui à vous, allons, touchez-lui dans la main, et rendez grâce au Ciel de votre bonheur.

LUCILE.- Je ne veux point me marier.

MONSIEUR JOURDAIN.- Je le veux moi, qui suis votre père.

LUCILE.- Je n’en ferai rien.

MONSIEUR JOURDAIN.- Ah que de bruit. Allons, vous dis-je. Çà votre main.

LUCILE.- Non, mon père, je vous l’ai dit, il n’est point de pouvoir qui me puisse obliger à prendre un autre mari que Cléonte ; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités, que de... (Reconnaissant Cléonte.) il est vrai que vous êtes mon père, je vous dois entière obéissance ; et c’est à vous à disposer de moi selon vos volontés.

MONSIEUR JOURDAIN.- Ah je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir ; et voilà qui me plaît, d’avoir une fille obéissante.

SCÈNE DERNIÈRE

MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, CLÉONTE, etc.

MADAME JOURDAIN.- Comment donc, qu’est-ce que c’est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un carême-prenant.

MONSIEUR JOURDAIN.- Voulez-vous vous taire, impertinente ? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n’y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable.

MADAME JOURDAIN.- C’est vous qu’il n’y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire avec cet assemblage ?

MONSIEUR JOURDAIN.- Je veux marier notre fille avec le fils du Grand Turc.

MADAME JOURDAIN.- Avec le fils du Grand Turc !

MONSIEUR JOURDAIN.- Oui, faites-lui faire vos compliments par le truchement que voilà.

MADAME JOURDAIN.- Je n’ai que faire du truchement, et je lui dirai bien moi-même à son nez, qu’il n’aura point ma fille.

MONSIEUR JOURDAIN.- Voulez-vous vous taire, encore une fois ?

DORANTE.- Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là ? Vous refusez Son Altesse Turque pour gendre ?

MADAME JOURDAIN.- Mon Dieu, Monsieur, mêlez-vous de vos affaires.

DORIMÈNE.- C’est une grande gloire, qui n’est pas à rejeter.

MADAME JOURDAIN.- Madame, je vous prie aussi de ne vous point embarrasser de ce qui ne vous touche pas.

DORANTE.- C’est l’amitié que nous avons pour vous, qui nous fait intéresser dans vos avantages.

…..


Les fourberies de Scapin

…..
SCAPIN : Cachez-vous : voici un spadassin qui vous cherche. ( En contrefaisant sa voix ) "Quoi ? Jé n’aurai pas l’abantage dé tuer cé Geronte, et quelqu’un par charité né m’enseignera pas où il est ?" ( à Géronte avec sa voix ordinaire) Ne branlez pas. (Reprenant son ton contrefait ) "Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât-il au centre dé la terre," (à Géronte avec son ton naturel) Ne vous montrez pas. ( Tout le langage gascon est supposé de celui qu’il contrefait, et le reste de lui) "Oh, l’homme au sac !" Monsieur. "Jé té vaille un louis, et m’enseigne où put être Géronte." Vous cherchez le seigneur Géronte ? "Oui, mordi ! Jé lé cherche." Et pour quelle affaire, Monsieur ? "Pour quelle affaire ?" Oui. "Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton." Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des gens comme lui, et ce n’est pas un homme à être traité de la sorte. "Qui, cé fat dé Geronte, cé maraut, cé velître ?" Le seigneur Géronte, Monsieur, n’est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s’il vous plaît, parler d’autre façon. "Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ?" Je défends, comme je dois, un homme d’honneur qu’on offense. "Est-ce que tu es des amis dé cé Geronte ?" Oui, Monsieur, j’en suis. "Ah ! Cadédis, tu es de ses amis, à la vonne hure." (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac) "Tiens. Boilà cé qué jé té vaille pour lui." Ah, ah, ah ! Ah, Monsieur ! Ah, ah, Monsieur ! Tout beau. Ah, doucement, ah, ah, ah ! "Va, porte-lui cela de ma part. Adiusias." Ah ! diable soit le Gascon ! Ah !

En se plaignant et remuant le dos, comme s’il avait reçu les coups de bâton.

GÉRONTE , mettant la tête hors du sac : Ah ! Scapin, je n’en puis plus.

SCAPIN : Ah ! Monsieur, je suis tout moulu, et les épaules me font un mal épouvantable.

GÉRONTE : Comment ? c’est sur les miennes qu’il a frappé.

SCAPIN : Nenni, Monsieur, c’était sur mon dos qu’il frappait.

GÉRONTE : Que veux-tu dire ? J’ai bien senti les coups, et les sens bien encore.

SCAPIN : Non, vous dis-je, ce n’est que le bout du bâton qui a été jusque sur vos épaules.

GÉRONTE : Tu devais donc te retirer un peu plus loin, pour m’épargner.

SCAPIN lui remet la tête dans le sac : Prenez garde. En voici un autre qui a la mine d’un étranger.

…..


Les Précieuses ridicules

…..
Mascarille . - Je ne sais si je me trompe, mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie.

Magdelon . - Eh ! Il pourrait être quelque chose de ce que vous dites.

Mascarille . - Ah ! Ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter.

Cathos . - Hé, à quels comédiens la donnez-vous ?

Mascarille . - Belle demande ! Aux grands comédiens. Il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter au bel endroit : et le moyen de connaître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit par là qu'il faut faire le brouhaha?

Cathos . - En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage ; et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir.

Mascarille . - Que vous semble de ma petite-oie ? La trouvez-vous congruante à l'habit ?

Cathos . - Tout à fait.

Mascarille . - Le ruban est bien choisi.

Magdelon . - Furieusement bien. C 'est Perdrigeon tout pur.

Mascarille . - Que dites-vous de mes canons ?

Magdelon . - Ils ont tout à fait bon air.

Mascarille . - Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier plus que tous ceux qu'on fait.

Magdelon . - Il faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'élégance de l'ajustement.

Mascarille . - Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat.

Magdelon . - Ils sentent terriblement bon.

…..