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LAUDE, André



Cercle rouge


Combien de taureaux cruels dans les faubourgs de l’amour.

Combien de taureaux dans les ruelles de l’errance

où je cherche Marie-Juana au visage d’enfance abîmé

par les matelots de Sydney, Vancouver et Brest-Recouvrance.

Combien de taureaux fous derrière mon front de rêveur.

Combien de vers dans la sombre tombe où repose mon ami.

Combien de clous enfoncés dans ce cercle rouge mon coeur.

Combien de prophètes et de sourciers au bout des déserts.

Je cherche Marie-Juana une femme sans âge,

elle est sorcière du monde des légendes des pays verts.

Elle est l’hostie sur mes lèvres

et la lampe à huile au fond de mes yeux.

Combien de taureaux aveugles et combien de feux

et combien de morts dans des guerres pour d’obscures îles.



Corrida


J’adhère à ma mort comme l’astre au ciel.

La vie cruelle

a tué en moi beaucoup d’or

et d’enfants qui ont pleuré au bord des lèvres.

Le temps est venu

de remettre les pendules à l’heure.

Adieu heure d’été, Adieu heure d’hiver

c’est maintenant l’heure de l’exil blanc et des remords.

Déjà je m’enfonce en terre

chandelle éteinte.

En bon et fougueux matador

j’esquisse une feinte.

A quoi sert de défier cape rouge et cape noire.

La poésie est simple comme bonsoir

au milieu d’une arène de sable et de sang. Décapité.



Le ver dans le fruit


Je longe le long sillon qui conduit aux morts muets.

Je songe à la neige, aux chevaux de feu,

à l’hiver des paroles.

Je vois des bois brûlés, des vaisseaux échoués,

des mouettes prises par le gel.

Je longe le fleuve de sang et de larmes

qui traverse les inquiétantes ruines.

Je sens l’odeur des prédateurs, l’urine

de la hyène, la matière fécale des jeunes bébés.

J’écris à partir d’un noyau de nuit.

J’écris à partir d’une tranchée noyée de boue.

J’écris corde au cou.

La trappe déjà tremble sous mes pieds.

Je longe le marbre froid qui donne le frisson

et chante une très étrange et vieille chanson,

qui dit qu’aujourd’hui et pour toujours

le ver est dans le fruit.



Je m’appelle personne


Je me hais et je veux mourir. Je me hais

et je veux mourir.

Fermez les yeux. Songez une dernière fois

à mon profil de poète grec,

dans la plus pouilleuse île.

Je serai, à partir de ce jour, ciel, ciel et ciel.

Ciel au-delà de vos folies meurtrières.

Je serai ciel. Je serai éternel.



Arrache-moi doucement 2


Arrache-moi doucement aux masques de la mort

Aux gargouilles de l'ennui qui ricanent dans le sommeil

Achève en moi enfin la créature qu'un dieu pâle a modelée

D'un peu de salive d'argile et d'imagination


Par le jeu savant des caresses et des baisers

Jette-moi en pâture aux lions du vertige

que plus rien ne demeure de l'ancienne fable

où j'errais comme un fantôme de fumée et de brume


oublie la terrible royauté des objets quotidiens

les chaînes de la morale nous serons libres

Voguant comme deux navires de haut bord

qui s'abîment avec lenteur sur les rivages du Soleil.



Cette chose très douce et très tendre

Cette chose très douce et très tendre

faite d'odeurs et de linges brûlants

qu'on nomme la femme

et qu'il me faut meurtrir

d'une caresse à peine ébauchée

dans la clarté aveugle du désir

Elle est la source frêle

d'où monte encore plein de sang

Au milieu d'un grand cortège d'ailes

l'astre fugitif de l'oubli

la haute mer pacifiée l'été épanoui des sens

Dieu insaisissable dans toute sa magnificence.



Ne comptez pas sur moi


Ne comptez pas sur moi

je ne reviendrai jamais

Je siège déjà là-haut

parmi les Élus

près des astres froids


Ce que je quitte n’a pas de nom

Ce qui m’attend n’en a pas non plus

Du sombre au sombre j’ai fait

un chemin de pèlerin

Je m’éloigne totalement sans voix

le vécu mille et mille fois

m’a brisé, vaincu.


Moi le fils des rois.



Tout est fête


Tout est fête

le laurier ceint le front

l’insecte et la trompette

du dieu caché sous le gazon


tout est hymne

le sein et l’astre s’épousent

un pays fumant émerge de la bouse

d’une vache échappée de la genèse


tout est blessure

le fleuve aux creux de la paume

l’ombre scellée au mur

tout est psaume


tout est naissance

le ver dans l’ordure d’un chien mort

le poème-planète enfanté

par la femme-silence

tout est agonie

la pierre dans la nuit

la nuit dans le sexe de l’homme

l’homme entre l’arbre et le cri.



Terre


Terre

je crie Terre et je touche la nuit

cette côte de la soif est terre où je crie terre


mon ventre remue pour l’épiphanie

hommes de ma race hommes de ma rue

avez-vous donc perdu ma trace


Terre

je crie Terre et soudain aboient les chiens d’Alabama


homme de race et de rue

vos mains fraternelles sont nues

sur ma blessure


Terre

entre l’ombre et la tonnerre


Terre

je crie Terre

et seul le rire d’un cheval fait écho

dans le labyrinthe de la pluie