MIRON, Gaston



Plus belle que les larmes


Jeune fille plus belle que les larmes

qui ont coulé plus qu'averses d'avril

beaux yeux aux ondes de martin-pêcheur

où passaient les longs-courriers de mes désirs

mémoire, ô colombe dans l'espace du coeur

je me souviens de sa hanche de navire

je me souviens de ses épis de frissons

et sur mes fêtes et mes désastres

je te salue toi la plus belle

et je chante



Jeune fille


Jeune fille plus belle que toutes nos légendes

de retour à la maison que protègent les mères

secrète et enjouée parmi les êtres de l'été

elle aimait bien celui qui cache son visage


sur mon corps il ne reste que bruine d'amour

au loin les songes se rassemblent à sa taille

pour les bouquets d'eau de ses yeux trop beaux

les yeux qu'elle a lui font trop mal à l'âme


jeune fille plus perdue que toute la neige

les ans s'encordent sur mes longueurs de solitude

et toujours à l'orée de ta distance lointaine

tes mille essaims de sourires encore m'escortent


j'en parle à cause d'un village de montagnes

d'où s'envolent des rubans de route fragiles

toi et moi nous y fûmes plusieurs fois la vie

avec les bonheurs qui d'habitude arrivent


je parle de ces choses qui nous furent volées

mais les voudra la mort plus que l'ombre légère

nous serons tous deux allongés comme un couple

enfin heureux dans la mémoire de mes poèmes



L’octobre


L'homme de ce temps porte le visage de la

Flagellation

et toi, Terre de Québec, Mère Courage

dans ta Longue Marche, tu es grosse

de nos rêves charbonneux douloureux

de l'innombrable épuisement des corps et des âmes


je suis né ton fils par en haut là-bas

dans les vieilles montagnes râpées du Nord

j'ai mal et peine ô morsure de naissance

cependant qu'en mes bras ma jeunesse rougeoie


voici mes genoux que les hommes nous pardonnent

nous avons laissé humilier l'intelligence des pères

nous avons laissé la lumière du verbe s'avilir

jusqu'à la honte et au mépris de soi dans nos frères

nous n'avons pas su lier nos racines de souffrance

à la douleur universelle dans chaque homme ravalé


je vais rejoindre les brûlants compagnons

dont la lutte partage et rompt le pain du sort commun

dans les sables mouvants des détresses grégaires


nous te ferons, Terre de Québec

lit des résurrections

et des milles fulgurances de nos métamorphoses

de nos levains où lève le futur

de nos volontés sans concessions


les hommes entendront battre ton pouls dans l'histoire

c'est nous ondulant dans l'automne d'octobre

c'est le bruit roux de chevreuils dans la lumière

l'avenir dégagé

l'avenir engagé



Je t'écris


Je t'écris pour te dire que je t'aime

que mon coeur qui voyage tous les jours

— le coeur parti dans la dernière neige

le coeur parti dans les yeux qui passent

le coeur parti dans les ciels d'hypnose —

revient le soir comme une bête atteinte


Qu'es-tu devenue toi comme hier

moi j'ai noir éclaté dans la tête

j'ai l'ennui comme un disque rengaine

J'ai peur d'aller seul de disparaître demain

sans ta vague à mon corps

sans ta voix de mousse humide

c'est ma vie que j'ai mal et ton absence


Le temps saigne

quand donc aurai-je de tes nouvelles

je t'écris pour te dire que je t'aime

que tout finira dans tes amarré

que je t'attends dans la saison de nous deux

qu'un jour mon coeur s'est perdu dans sa peine

que sans toi il ne reviendra plus


Quand nous serons couchés côte à côte

dans la crevasse du temps limoneux

nous reviendrons de nuit parler dans les herbes

au moment que grandit le point d'aube

dans les yeux des bêtes découpées dans la brume

tandis que le printemps liseronne aux fenêtres


Pour ce rendez-vous de notre fin du monde

c'est Avec toi que je veux chanter

sur le seuil des mémoires les morts d'aujourd'hui

eux qui respirent pour nous

les espaces oubliés



Pour retrouver le monde de l'amour


Nous partirons de nuit pour l'aube des Mystères

et tu ne verras plus les maisons et les terres

et ne sachant plus rien des anciennes rancoeurs

des détresses d'hier, des jungles de la peur

tu sauras en chemin tout ce que je te donne

tu seras comme moi celle qui s'abandonne


nous passerons très haut par-dessus les clameurs

et tu ne vivras plus de perfides rumeurs

or loin des profiteurs, des lieux de pestilence

tu entendras parler les mages du silence

alors tu connaîtras la musique à tes pas

et te revêtiront les neiges des sagas


nous ne serons pas seuls à faire le voyage

d'autres nous croiseront parmi les paysages

comme nous, invités à ce jour qui naîtra

nous devons les chérir d'un amour jamais las

eux aussi, révoltés, vivant dans les savanes

répondent à l'appel secret des caravanes


quand nous avancerons sur l'étale de mer

je te ferai goûter à la pulpe de l'air

puis nous libérerons nos joies de leur tourmente

de leur perte nos mains, nos regards de leurs pentes

des moissons de fruits mûrs pencheront dans ton coeur

dans ton corps s'épandront d'incessantes douceurs


après le temps passé dans l'étrange et l'austère

on nous accueillera les bras dans la lumière

l'espace ayant livré des paumes du sommeil

la place des matins que nourrit le soleil

ô monde insoupçonné, uni, sans dissidence

te faisant échapper des cris d'incontinence


nouvelle-née, amour, nous n'aurons pas trahi

nous aurons retrouvé les rites d'aujourd'hui

le bonheur à l'affût dans les jours inventaires

notre maison paisible et les toits de nos frères

le passé, le présent, qui ne se voudront plus

les ennemis dressés que nous aurions connus



Poème de séparation 2


Tu fus quelques nuits d'amour en mes bras

et beaucoup de vertige, beaucoup d'insurrection

même après tant d'années de mer entre nous

à chaque aube il est dur de ne plus t'aimer


parfois dans la foule surgit l'éclair d'un visage

blanc comme fut naguère le tien dans ma tourmente

autour de moi l'air est plein de trous bourdonnant

peut-être qu'ailleurs passent sur ta chair désolée

pareillement des éboulis de bruits vides

et fleurissent les mêmes brûlures éblouissantes


si j'ai ma part d'incohérence, il n'empêche

que par moments ton absence fait rage

qu'à travers cette absence je me désoleille

par mauvaise affliction et sale vue malade

j'ai un corps en mottes de braise où griffe

un mal fluide de glace vive en ma substance


ces temps difficiles malmènent nos consciences

et le monde file un mauvais coton, et moi

tel le bec du pivert sur l'écorce des arbres

de déraison en désespoir mon coeur s'acharne

et comme, mitraillette, il martèle

ta lumière n'a pas fini de m'atteindre

ce jour-là, ma nouvellement oubliée

je reprendrai haut bord et destin de poursuivre

en une femme aimée pour elle à cause de toi