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SÉNAC, Jean



Chant funèbre pour un gaouri


Quand je serai mort jeunes gens

Vous mettrez mon corps sur la mer

Vous écouterez la siguirya - l’Irréparable où mon ancêtre arabe pleure

Vous écouterez El Anka … Ya Dif Allah

Et le Concerto de Bartok - pour orchestre

Pendant trente-sept ans j’ai tellement eu faim de beauté !

j’ai tellement eu faim de santé !

Soyez patients. C’est une après-midi ensemble tandis que

Mon corps sur la mer…

Et puis dansez le twist, dansez à perte haleine l’Afrique délivrée !

Le twist- et comme jadis sur le Môle… le hadaoui

Jeunes gens, vous serez des hommes libres.

Vous construirez l’autogestion, vous construirez une culture sans race

Vous comprendrez pourquoi ma mort est optimiste

Je ne me suicide pas. Je vis.

Voilà ma signature…


Et je mets un soleil



Le songe


J’aimerais lorsque tu dors

vaincre l’abeille des morts

que soulève sur tes lèvres

le premier mot de la fièvre

et l’exode des ruisseaux


J’aimerais prendre cette eau

la jeter contre nos herbes

et m’oubliant dans le verbe

croire au seul bruit de ta peau.



La vie court


Si les hommes demandent des preuves

que veux-tu que je dise d’autre

mon amour


Ton nom


J’invente des miracles

Pour que mes amis t’aiment

Je fais un soleil fou

De l’ombre de ta voix


Je parle et tu me suis

Ma charnelle déserte

Mon amour que je ne connais pas



Les leçons d’Edgard 3


Ne ris pas, tes dents m'éclairent

Et j'ai besoin de me fuir.

L'amour est une lumière

Dont on ne peut guérir.


Toi plus, dans ton blanc tu serres

Les rayons de mon loisir,

Comme une précieuse pierre

Qui pourrait tout contenir.


Parle, parle, je n'écoute

Que le bruit de ta beauté,

Ton sourire goutte à goutte.


Je m'enivre, je m'apaise,

Et parfois je ne te baise

Que pour cueillir ta clarté.



Au fond de chaque amour


Au fond de chaque amour des cancrelats sommeillent.

Sont-ce des cancrelats, mon coeur, ou des abeilles ?

Et lentement, tandis qu’en amande les yeux

S’éternisent, dans le désir, le bruit soigneux

De la noire légion dévore nos oreilles.


Rien n’y fait, nos soupirs ni nos gémissements

Ni le lin délirant dont nous vêtons nos contes,

Rien, et quand la beauté nous attache et nous ment

Les cancrelats sont là qui nous troublent et montent

Avec notre bonheur et son double, la honte.


.….


Si chanter mon amour c’est aimer ma patrie,

Je suis un combattant qui ne se renie pas.

Je porte au coeur son nom comme un bouquet d’orties,

Je partage son lit et marche de son pas.


Sur les plages l’été camoufle la misère,

Et tant d’estomacs creux que le soleil bronza

Dans la ville le soir entrelace au lierre

Le chardon de douleur, cet unique repas.


…..



Miroir de l’églantier


Feu de sarments dans tes yeux feu de ronces sur tes joues feu de silex sur ton front feu d'amandes sur tes lèvres feu d'anguilles dans tes doigts feu de laves sur tes seins feu d'oranges

dans ton cœur feu d'œillets à ta ceinture feu de chardons sur ton ventre feu de glaise à tes genoux feu de bave sous tes pieds feu de sel et feu de boue un incendie

réel tout droit sur la falaise un faisceau de saveurs où je me reconnais


Mère ma ténébreuse.