VERLAINE, Paul



Le papillon


Naître avec le printemps, mourir avec les roses,

Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,

Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,

S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,

Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,

S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,

Voilà du papillon le destin enchanté !

Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,

Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,

Retourne enfin au ciel chercher la volupté


Je ne sais pourquoi


Je ne sais pourquoi

Mon esprit amer

D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.

Tout ce qui m’est cher,

D’une aile d’effroi

Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?


Mouette à l’essor mélancolique,

Elle suit la vague, ma pensée,

À tous les vents du ciel balancée,

Et biaisant quand la marée oblique

Mouette à l’essor mélancolique.


Ivre de soleil

Et de liberté,

Un instinct la guide à travers cette immensité.

La brise d’été

Sur le flot vermeil

Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.


Parfois si tristement elle crie

Qu’elle alarme au loin le pilote,

Puis au gré du vent se livre et flotte

Et plonge, et l’aile toute meurtrie

Revole, et puis si tristement crie !


Je ne sais pourquoi

Mon esprit amer

D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.

Tout ce qui m’est cher,

D’une aile d’effroi

Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?


Le son du cor s'afflige vers les bois


Le son du cor s'afflige vers les bois

D'une douleur on veut croire orpheline

Qui vient mourir au bas de la colline

Parmi la bise errant en courts abois.


L'âme du loup pleure dans cette voix

Qui monte avec le soleil qui décline

D'une agonie on veut croire câline

Et qui ravit et qui navre à la fois.


Pour faire mieux cette plaine assoupie

La neige tombe à longs traits de charpie

A travers le couchant sanguinolent,


Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne,

Tant il fait doux par ce soir monotone

Où se dorlote un paysage lent.


Nevermore


Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne

Faisait voler la grive à travers l'air atone,

Et le soleil dardait un rayon monotone

Sur le bois jaunissant où la bise détone.


Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,

Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.

Soudain, tournant vers moi son regard émouvant

" Quel fut ton plus beau jour? " fit sa voix d'or vivant,


Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.

Un sourire discret lui donna la réplique,

Et je baisai sa main blanche, dévotement.


- Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées !

Et qu'il bruit avec un murmure charmant

Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !


Voeu


Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses !

L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,

Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,

La spontanéité craintive des caresses !


Sont-elles assez loin toutes ces allégresses

Et toutes ces candeurs ! Hélas ! toutes devers

Le printemps des regrets ont fui les noirs hivers

De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses !


Si que me voilà seul à présent, morne et seul,

Morne et désespéré, plus glacé qu’un aïeul,

Et tel qu’un orphelin pauvre sans sœur aînée.


Ô la femme à l’amour câlin et réchauffant,

Douce, pensive et brune, et jamais étonnée,

Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant !



Green


Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches

Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.

Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches

Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.


J'arrive tout couvert encore de rosée

Que le vent du matin vient glacer à mon front.

Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée

Rêve des chers instants qui la délasseront.


Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête

Toute sonore encore de vos derniers baisers ;

Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête,

Et que je dorme un peu puisque vous reposez.


Assonances galantes II


Là ! je l'ai, ta photographie

Quand t'étais cette galopine,

Avec, jà, tes yeux de défi,


Tes petits yeux en trous de vrille,

Avec alors de fiers tétins

Promus en fiers seins aujourd'hui.


Sous la longue robe si bien

Qu'on portait vers soixante-seize

Et sous la traîne et tout son train,


On devine bien ton manège

D'abord jà, cuisse alors mignonne,

Ce jourd'huy belle et toujours fraîche ;


Hanches ardentes et luronnes,

Croupe et bas ventre jamais las,

À présent le puissant appât,


Les appas, mûrs mais durs qu'appètent

Ma fressure quand tu es là

Et quand tu n'es pas là, ma tête !



près trois ans


Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,

Je me suis promené dans le petit jardin

Qu'éclairait doucement le soleil du matin,

Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.


Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle

De vigne folle avec les chaises de rotin...

Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin

Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.


Les roses comme avant palpitent ; comme avant,

Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,

Chaque alouette qui va et vient m'est connue.


Même j'ai retrouvé debout la Velléda,

Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,

- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.


En sourdine

Calmes dans le demi-jour

Que les branches hautes font,

Pénétrons bien notre amour

De ce silence profond.


Fondons nos âmes, nos cœurs

Et nos sens extasiés,

Parmi les vagues langueurs

Des pins et des arbousiers.


Ferme tes yeux à demi,

Croise tes bras sur ton sein,

Et de ton cœur endormi

Chasse à jamais tout dessein.


Laissons-nous persuader

Au souffle berceur et doux,

Qui vient à tes pieds rider

Les ondes de gazon roux.


Et quand, solennel, le soir

Des chênes noirs tombera,

Voix de notre désespoir,

Le rossignol chantera.




L'heure exquise


La lune blanche

Luit dans les bois ;

De chaque branche

Part une voix

Sous la ramée ...


Ô bien-aimée.


L'étang reflète,

Profond miroir,

La silhouette

Du saule noir

Où le vent pleure ...


Rêvons, c'est l'heure.


Un vaste et tendre

Apaisement

Semble descendre

Du firmament

Que l'astre irise ...


C'est l'heure exquise.



Het verrukkelijke uur


De maan is blank

en glanst door ‘t hout;

vanuit elke rank

klinkt een stem boud

onder ‘t gebladerte.


O teergeliefde.


De vijver ligt zo luw,

- een diepe spiegel - en

weerkaatst de schaduw

van de zwarte treurwilg

waar de wind door schuurt.


Laten we dromen, dit is het uur.


Oneindige malen

lijkt een tere rust

neer te dalen

uit een heelal gekust

door ‘t sterrenvuur …


Dit is het verrukkelijke uur.


(vertaling Z. DE MEESTER)




Langueur


Je suis l'Empire à la fin de la décadence,

Qui regarde passer les grands Barbares blancs

En composant des acrostiches indolents

D'un style d'or où la langueur du soleil danse.


L'âme seulette a mal au coeur d'un ennui dense.

Là-bas on dit qu'il est de longs combats sanglants.

O n'y pouvoir, étant si faible aux voeux si lents,

O n'y vouloir fleurir un peu cette existence !


O n'y vouloir, ô n'y pouvoir mourir un peu !

Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?

Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire!


Seul, un poème un peu niais qu'on jette au feu,

Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,

Seul, un ennui d'on ne sait quoi qui vous afflige !


Les chères mains qui furent miennes


Les chères mains qui furent miennes,
Toutes petites, toutes belles,

Après ces méprises mortelles

Et toutes ces choses païennes,


Après les rades et les grèves,

Et les pays et les provinces,

Royales mieux qu’au temps des princes,

Les chères mains m’ouvrent les rêves.


Mains en songe, mains sur mon âme,

Sais-je, moi, ce que vous daignâtes,

Parmi ces rumeurs scélérates,

Dire à cette âme qui se pâme?


Ment-elle, ma vision chaste

D’affinité spirituelle,

De complicité maternelle,

D’affection étroite et vaste?


Remords si cher, peine très bonne,

Rêves bénis, mains consacrées,

Ô ces mains, ces mains vénérées,

Faites le geste qui pardonne!



Seigneur, j’ai peur


- Seigneur, j'ai peur.... Mon âme en moi tressaille toute.

Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment

Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant,

Ô Justice que la vertu des bons redoute ?


Oui, comment ? Car voici que s'ébranle la voûte

Où mon coeur creusait son ensevelissement

Et que je sens fluer à moi le firmament,

Et je vous dis : de vous à moi quelle est la route ?


Tendez-moi votre main, que je puisse lever

Cette chair accroupie et cet esprit malade.

Mais recevoir jamais la céleste accolade,


Est-ce possible ? Un jour, pouvoir la retrouver

Dans votre sein, sur votre coeur qui fut le nôtre,

La place où reposa la tête de l'apôtre ?


Es-tu brune ou blonde ?

Es-tu brune ou blonde ?

Sont-ils noirs ou bleus,

Tes yeux ?

Je n'en sais rien, mais j'aime leur clarté profonde,

Mais j'adore le désordre de tes cheveux.

Es-tu douce ou dure ?

Est-il sensible ou moqueur,

Ton cœur ?

Je n'en sais rien, mais je rends grâce à la nature

D'avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur.

Fidèle, infidèle ?

Qu'est-ce que ça fait.

Au fait ?

Puisque, toujours disposé à couronner mon zèle

Ta beauté sert de gage à mon plus cher souhait.


Je suis venu, calme orphelin

Gaspard Hauser chante :

Je suis venu, calme orphelin,

Riche de mes seuls yeux tranquilles,

Vers les hommes des grandes villes :

Ils ne m'ont pas trouvé malin.

A vingt ans un trouble nouveau

Sous le nom d'amoureuses flammes

M'a fait trouver belles les femmes :

Elles ne m'ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi

Et très brave ne l'étant guère,

J'ai voulu mourir à la guerre :

La mort n'a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?

Qu'est-ce que je fais en ce monde ?

O vous tous, ma peine est profonde :

Priez pour le pauvre Gaspard !


D'une prison

Le ciel est, par-dessus le toit,

Si bleu, si calme!

Un arbre, par-dessus le toit,

Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu'on voit,

Doucement tinte.

Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,

Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là

Simple et tranquille.

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville.

- Qu'as-tu fait, ô toi que voilà

Pleurant sans cesse,

Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,

De ta jeunesse ?


Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,

Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur transparent

Pour elle seule, hélas! Cesse d'être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.

Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,

Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

L'inflexion des voix chères qui se sont tues.


Après trois ans

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,

Je me suis promené dans le petit jardin

Qu'éclairait doucement le soleil du matin,

Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle

De vigne folle avec les chaises de rotin…

Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin

Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,

Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.

Chaque alouette qui va et vient m'est connue.

Même j'ai retrouvé debout la Velléda,

Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,

Grêle, parmi l'odeur fade du réséda


Été

Et l’enfant répondit, pâmée

Sous la fourmillante caresse

De sa pantelante maîtresse :

« Je me meurs, ô ma bien-aimée !

« Je me meurs : ta gorge enflammée

Et lourde me soûle et m’oppresse ;

Ta forte chair d’où sort l’ivresse

Est étrangement parfumée ;

« Elle a, ta chair, le charme sombre

Des maturités estivales, —

Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre ;

« Ta voix tonne dans les rafales,

Et ta chevelure sanglante

Fuit brusquement dans la nuit lente ».


Chanson d'automne

Les sanglots longs

Des violons

De l'automne

Blessent mon coeur

D'une langueur

Monotone.

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l'heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure


Et je m'en vais

Au vent mauvais

Qui m'emporte

Deçà, delà,

Pareil à la

Feuille morte.



Il pleure dans mon coeur.

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !


Le ciel est par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?


Colloque sentimental

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?

- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.

Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.

- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.


Art poétique

De la musique avant toute chose,

Et pour cela préfère l'Impair

Plus vague et plus soluble dans l'air,

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n'ailles point

Choisir tes mots sans quelque méprise :

Rien de plus cher que la chanson grise

Où l'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière des voiles,

C'est le grand jour tremblant de midi,

C'est, par un ciel d'automne attiédi,

Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,

Pas la Couleur, rien que la nuance !

Oh ! la nuance seule fiance

Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,

L'Esprit cruel et le Rire impur,

Qui font pleurer les yeux de l'Azur,

Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'éloquence et tords-lui son cou !

Tu feras bien, en train d'énergie,

De rendre un peu la Rime assagie.

Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

O qui dira les torts de la Rime ?

Quel enfant sourd ou quel nègre fou

Nous a forgé ce bijou d'un sou

Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !

Que ton vers soit la chose envolée

Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée

Vers d'autres cieux à d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure

Eparse au vent crispé du matin

Qui va fleurant la menthe et le thym...

Et tout le reste est littérature.


Printemps


Tendre, la jeune femme rousse,

Que tant d'innocence émoustille,

Dit à la blonde jeune fille

Ces mots, tout bas, d'une voix douce :


« Sève qui monte et fleur qui pousse,

Ton enfance est une charmille :

Laisse errer mes doigts dans la mousse

Où le bouton de rose brille,


Laisse-moi, parmi l'herbe claire,

Boire les gouttes de rosée

Dont la fleur tendre est arrosée, –


« Afin que le plaisir, ma chère,

Illumine ton front candide

Comme l'aube l'azur timide. »



Compagne savoureuse et bonne

Compagne savoureuse et bonne

À qui j'ai confié le soin

Définitif de ma personne,

Toi mon dernier, mon seul témoin,

Viens çà, chère, que je te baise,

Que je t'embrasse long et fort,

Mon coeur près de ton coeur bat d'aise

Et d'amour pour jusqu'à la mort :

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.

Je vais gueux comme un rat d'église

Et toi tu n'as que tes dix doigts ;

La table n'est pas souvent mise

Dans nos sous-sols et sous nos toits ;

Mais jamais notre lit ne chôme,

Toujours joyeux, toujours fêté

Et j'y suis le roi du royaume

De ta gaîté, de ta santé !

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.

Après nos nuits d'amour robuste

Je sors de tes bras mieux trempé,

Ta riche caresse est la juste,

Sans rien de ma chair de trompé,

Ton amour répand la vaillance

Dans tout mon être, comme un vin,

Et, seule, tu sais la science

De me gonfler un coeur divin.

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.

Qu'importe ton passé, ma belle,

Et qu'importe, parbleu ! le mien :

Je t'aime d'un amour fidèle

Et tu ne m'as fait que du bien.

Unissons dans nos deux misères

Le pardon qu'on nous refusait

Et je t'étreins et tu me serres

Et zut au monde qui jasait !

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.