LEMESLE, Claude


Ca va pas changer le monde

C'est drôle, tu es partie,

Et pourtant tu es encore ici,

Puisque tout me parle de toi :

Un parfum de femme, l'écho de ta voix.

Ton adieu, je n'y crois pas du tout,

C'est un au revoir, presqu'un rendez-vous...

Ca va pas changer le monde,

Il a trop tourné sans nous.

Il pleuvra toujours sur Londres...

ça va rien changer du tout.

Qu'est-ce que ça peut bien lui faire,

Une porte qui s'est refermée?

On s'est aimés, n'en parlons plus,

Et la vie continue.

Ca va pas changer le monde

Que tu changes de maison.

Il va continuer, le monde,

Et il aura bien raison.

Les poussières d'une étoile,

C'est ça qui fait briller la voie lactée...

On s'est aimés, n'en parlons plus,

Et la vie continue.

Ca va pas changer le monde,

Ça va pas le déranger.

Il est comme avant, le monde,

C'est toi seule qui as changé.

Moi, je suis resté le même,

Celui qui croyait que tu l'aimais...

C'était pas vrai, n'en parlons plus,

Et la vie continue.


Jean Des Brumes

Il a posé son chevalet

Au premier jour de la neuvaine

Dans ce hameau de Pont-Aven

Ou nos jeunesses cavalaient...

Entre sarcasmes et chapelets

Il faisait naître sur ses toiles

De drôles d'étés, de drôles d'étoiles,

Nous, on courait sur les galets...

Il avait des cheveux d'archange

Et ce regard vers l'intérieur,

Cette lumière supérieure

Qui vous pénètre et vous dérange

Sa gueule bouffée par ses yeux

Portait l'empreinte des embruns

Et son pinceau brûlait sa main

Et sa main barbouillait du feu...

C'était Jean des brumes,

Un marin de terre

Avec son costume

D'amertume et de mystère

C'était Jean des brumes,

Un géant botté

De plomb et de plumes

Je suis passé à côté...

Ce n'était pas un peintre, non

Ce n'était qu'un témoin d'amour

Un assassin de vieux discours

Qui se foutait d'avoir un nom...

Quand il nous a quittés, c'était

Le dernier jour de la neuvaine

Mais le clocher de Pont-Aven

Depuis qu'il s'est flingué se tait...

C'était Jean des brumes

Un marin de terre

Avec son costume

D'amertume et de mystère...


C'était Jean des brumes

Moi j'avais quinze ans

Son aura posthume

Me suit encore à présent

Tous les Jean des brumes

Sont toujours lestés

De plomb sous les plumes

Il ne l'a pas supporté ...

Une vie s'allume

Une vie s'éteint

Comme Jean des brumes

Parfois je hais les matins....

Jean des brumes


Il Faut Vivre

Il faut vivre, l'azur au-dessus comme un glaive

Prêt à trancher le fil qui nous retient debout

Il faut vivre partout, dans la boue et le rêve

En aimant à la fois et le rêve et la boue

Il faut se déplacer d'adorer ce qui passe

Un film à la télé, un regard dans la cour

Un coeur fragile et nu sous une carapace

Une allure de fille éphémère qui court

Je veux la chair joyeuse et qui lit tous les livres

Du poète au polar, de la Bible à Vermot

M'endormir presque à jeun et me réveiller ivre

Avoir le premier geste et pas le dernier mot

Étouffer d'émotion, de désir, de musique

Écouter le silence où Mozart, chante encore

Avoir une mémoire hypocrite, amnésique

Réfractaire aux regrets, indulgente aux remords

Il faut vivre, il faut peindre avec ou sans palette

Et sculpter dans le marbre effrayant du destin

Les ailes mortes du Moulin de la Galette

La robe de mariée où s'endort la putain

Il faut voir Dieu descendre une ruelle morne

En sifflotant un air de rancune et d'espoir

Et le diable rêver, en aiguisant ses cornes

Que la lumière prend sa source dans le noir

Football, amour, alcool, gloire, frissons, tendresse

Je prends tout pêle-mêle et je suis bien partout

Au milieu des dockers dont l'amarre est l'adresse

Dans la fête tzigane et le rire bantou

On n'a jamais le temps, le temps nous a, il traîne

Comme un fleuve de plaine aux méandres moqueurs

Mais on y trouve un lit et des chants de sirènes

Et un songe accroché au pas du remorqueur

Jamais ce qui éteint, jamais ce qui dégoûte

Toujours, toujours, toujours, ce qui fait avancer

Il faut boire ses jours, un à un, goutte à goutte

Et ne trouver de l'or que pour le dépenser

Qu'on s'appelle Suzanne, Henri, Serge ou que sais-je

Quidam évanescent, anonyme, paumé

Il faut croire au soleil en adorant la neige

Et chercher le plus-que-parfait du verbe aimer

Il faut vivre d'amour, d'amitié, de défaites

Donner à perte d'âme, éclater de passion

Pour que l'on puisse écrire à la fin de la fête

Quelque chose a changé pendant que nous passions

Sous une pluie d'étoile

J'ai hurlé mon amour

Je l'aimais comme-ci

Plus rien n'existait autour

Peu importe que la nuit tombe

Peu importe je cours

J'ai dans l'âme une lueur

Donc j'attends ton secours