SCUD É RY, Georges de



Stance


Parlez mes vers, puisque ma bouche

N'ose plus découvrir les maux que j'ai soufferts :

Et dans la douleur qui me touche,

Devant une aimable farouche

Parlez mes vers.


Parlez mes yeux, malgré la haine

Que témoigne pour moi cet objet glorieux

Et pour faire finir ma peine,

Quand vous verrez cette inhumaine

Parlez mes yeux.


Parlez mes pleurs, parlez mes larmes,

Dont je fais chaque jour naître et mourir des fleurs

Et voyant ma raison sans armes,

Si vos torrents ont quelques charmes

Parlez mes pleurs.


Parlez soupirs, enfants d'une âme

Qui se consume en vain d'inutiles désirs

Et près d'une si fière dame,

Pour lui montrer qu'elle est ma flamme

Parlez soupirs.


Parlez mon coeur, puisqu'Almahide

Me fait taire en ce jour avec trop de rigueur :

Mais si ma voix est trop timide,

En mourant près d'une homicide

Parlez mon coeur.



La belle Égyptienne


Sombre divinité, de qui la splendeur noire

Brille de feux obscurs qui peuvent tout brûler :

La neige n'a plus rien qui te puisse égaler,

Et l'ébène aujourd'hui l'emporte sur l'ivoire.


De ton obscurité vient l'éclat de ta gloire,

Et je vois dans tes yeux, dont je n'ose parler,

Un Amour africain, qui s'apprête à voler,

Et qui d'un arc d'ébène aspire à la victoire.


Sorcière sans démons, qui prédis l'avenir,

Qui, regardant la main, nous viens entretenir,

Et qui charmes nos sens d'une aimable imposture :


Tu parais peu savante en l'art de deviner ;

Mais sans t'amuser plus à la bonne aventure,

Sombre divinité, tu nous la peux donner.



Description de la fameuse Fontaine de Vaucluse


Les vents, même les vents, qu'on entend respirer,

Et parmi ces rochers, et parmi ces ombrages,

Eux qui me font aimer ces aimables rivages,

Ont appris de Pétrarque à si bien soupirer.


Les flots, même les flots, qu'on entend murmurer

Avec tant de douceur, dans des lieux si sauvages,

Imitent une voix qui charmait les courages

Et parlent d'un objet qu'on lui vit adorer.


Au lieu même où je suis, mille innocents oiseaux

Nous redisent encor, près de ces claires eaux,

Ce que Laure disait à son amant fidèle :


Ici tout n'est que flamme ; ici tout n'est qu'amour ;

Tout nous parle de lui ; tout nous entretient d'elle ;

Et leur ombre erre encor en ce charmant séjour.



La Nymphe endormie


Vous faites trop de bruit, Zéphire, taisez-vous,

Pour ne pas éveiller la belle qui repose ;

Ruisseau qui murmurez, évitez les cailloux,

Et si le vent se tait, faites la même chose.


Mon coeur sans respirer, regardons à genoux

Sa bouche de corail, qui n'est qu'à demi close,

Dont l'haleine innocente est un parfum plus doux

Que l'esprit de jasmin, de musc, d'ambre et de rose.


Ah que ces yeux fermés ont encor d'agrément !

Que ce sein demi-nu s'élève doucement !

Que ce bras négligé nous découvre de charmes !


Ô Dieux, elle s'éveille, et l'Amour irrité

Qui dormait auprès d'elle a déjà pris les armes

Pour punir mon audace et ma témérité.



Pour la même inconstante


Elle aime, et n'aime plus, et puis elle aime encore,

La volage beauté que je sers constamment :

L'on voit ma fermeté ; l'on voit son changement ;

Et nous aurions besoin, elle et moi, d'ellébore.


Cent fois elle brûla du feu qui me dévore ;

Cent fois elle éteignit ce faible embrasement ;

Et semblable à l'Égypte en mon aveuglement,

C'est un caméléon que mon esprit adore.


Puissant maure des sens, écoute un malheureux ;

Amour, sois alchimiste, et sers-toi de tes feux

À faire que son coeur prenne une autre nature :


Comme ce coeur constant me serait un trésor,

Je ne demande point que tu fasses de l'or,

Travaille seulement à fixer ce mercure.