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MUSSET, Alfred de



Gamiani ou deux nuits d’excès :

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Je suis né de parents jeunes et robustes. Mon enfance fut heureuse, exempte de pleurs et de maladie. Aussi, dès l’âge de treize ans étais-je un homme fait. Les aiguillons de la chair se faisaient déjà vivement sentir.

Destiné à l’état ecclésiastique, élevé dans toute la rigueur des principes de chasteté, je combattais de toutes mes forces les premiers désirs des sens. Ma chair s’éveillait, s’irritait, impérieuse, et je la macérais impitoyablement.

Je me condamnais au jeûne le plus rigoureux. La nuit, dans mon sommeil, la nature obtenait un soulagement, et je m’en effrayais comme d’un désordre dont j’étais coupable. Je redoublais d’abstinences et d’attention à écarter toute pensée funeste. Cette opposition, ce combat intérieur finirent par me rendre lourd et comme hébété. Ma continence forcée porta dans tous mes sens une sensibilité ou plutôt une irritation que je n’avais jamais sentie.

J’avais souvent le vertige. Ils me semblaient que des objets tournaient et moi avec eux. Si une jeune femme s’offrait par hasard à ma vue, elle me paraissait vivement enluminée et resplendissante d’un feu pareil à des étincelles électriques.

L’humeur, échauffée de plus en plus et trop abondante, se portait dans ma tête, et les parties de feu dont elle était remplie, frappant vivement contre la vitre de mes yeux y causaient une sorte de mirage éblouissant.

Cet état durait depuis des mois, lorsqu’un matin je sentis tout à coup dans tous mes membres une contraction et une tension violentes, suivi d’un mouvement affreux et convulsif pareil à ceux qui accompagnent ordinairement les transports épileptiques… Mes éblouissements lumineux revinrent avec plus de forces que jamais… Je vis d’abord un cercle noir tourner rapidement devant moi, s’agrandir et devenir immense : une lumière vive et rapide s’échappa de l’axe du cercle et éclaira toute l’étendue.

Je découvrais un horizon sans fin, de vastes cieux enflammés, traversés par mille fusées volantes qui toutes retombaient éblouissantes en pluie dorée, étincelles de saphir, d’émeraude et d’azur.

Le feu s’éteignit ; un jour bleuâtre et velouté vint le remplacer : il me semblait que je nageais dans une lumière limpide et douce, suave comme un pâle reflet de la lune dans une belle nuit d’été, et voilà que, du point le plus éloigné, accourent à moi, vaporeuses, aériennes comme un essaim de papillons dorés, des myriades infinies de jeunes filles nues, éblouissantes de fraîcheur, transparentes comme des statues d’albâtre.

Je m’élançais au-devant des sylphides, mais elles s’échappaient rieuses et folâtres ; leurs groupes délicieux se fondaient un moment dans l’azur puis reparaissaient plus vifs, plus joyeux ; bouquets charmants de figures ravissantes qui toutes me donnaient un fin sourire, un regard malicieux !

Peu à peu, les jeunes filles s’éclipsèrent ; alors vint à moi des femmes dans l’âge de l’amour et des tendres passions.

Les unes, vives, animées, au regard de feu, aux gorges palpitantes ; les autres, pâles et penchées comme des vierges d’Ossian. Leurs corps frêles, voluptueux, se dérobaient sous la gaze. Elles semblaient mourir de langueur et d’attente : elles m’ouvraient leur bras et me fuyaient toujours.

Je m’agitais lubriquement sur ma couche ; je m’élevais sur mes jambes et mes mains, secouant frénétiquement mon glorieux priape. Je parlais d’amour, de plaisir, dans les termes les plus indécents ; mes souvenirs classiques se mêlant un instant à mes rêves, je vis Jupiter en feu, Junon maniant la foudre ; je vis tout l’Olympe en rut, dans un désordre, un pêle-mêle étranges ; après, j’assistai à une orgie, une bacchanale d’enfer : dans une caverne sombre et profonde, éclairée par des torches puantes aux lueurs rougeâtres, des teintes bleues et vertes se reflétaient hideusement sur les corps de cent diables aux figures de bouc, aux formes grotesques lubriques.

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