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MUSSO, Guillaume



Et après

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Au moment de sortir de la pièce, il se rappela ce jour d'avril 1995, dans une maternité de San Diego. La première fois où il avait soulevé sa petite fille qui venait de naître. Il était tellement ému et intimidé qu'il ne savait même pas comment s'y prendre. Tout ce qu'il avait vu alors, c'était un bébé minuscule au visage fripé qui, les yeux fermés, se livrait à toutes sortes de mimiques étranges, en agitant ses petites mains dans tous les sens. A ce moment-là, il ignorait qu'elle tiendrait un jour autant de place dans sa vie. Que ce minuscule poupon deviendrait plus important que la prunelle de ses yeux. Il se doutait bien qu'être père constituerait un changement radical dans son existence, mais il n'avait aucune idée de ce que cela signifiait, en termes d'amour et d'émotion. Il ne savait pas encore qu'un enfant pourrait lui procurer autant de joie. Ni que la perte d'un enfant pourrait un jour faire naître chez lui une aussi grande détresse. Il ne se doutait de rien. Puis ce petit ange tout fragile avait ouvert les yeux et l'avait regardé intensément, un peu comme s'il voulait lui faire comprendre qu'il avait besoin de lui. Il s'était alors senti bouleversé, débordant d'un amour sans limites. Et sans doute n'y a-t-il pas de mots pour décrire un tel bonheur.
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L’instant présent

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Je lui emboîtai le pas de mauvaise grâce. Il m’entraîna dans l’ancienne demeure du gardien du phare. C’était un petit cottage rustique qui baignait dans son jus et sentait le renfermé. Les murs étaient décorés de filets de pêche, d’un gouvernail en bois laqué et de diverses croûtes d’artistes locaux mettant en scène les paysages de la région. Sur le manteau de la cheminée, on retrouvait une lampe à pétrole ainsi qu’un voilier miniature prisonnier d’une bouteille. Mon père ouvrit la porte du corridor – un couloir d’une dizaine de mètres tapissé de lattes vernies qui reliait la maisonnette au phare –, mais, au lieu d’emprunter les escaliers pour rejoindre le sommet de la tour, il souleva la trappe en bois qui permettait d’accéder à la cave. – Viens ! ordonna-t-il en sortant une torche de sa mallette. Courbé, je descendis dans son sillage une volée de marches grinçantes et rejoignis la pièce souterraine. Lorsqu’il actionna l’interrupteur, je découvris un local rectangulaire, bas de plafond, aux murs de briques rougeâtres. recouverts de toiles d’araignée, des tonneaux et des caisses en bois étaient empilés dans un coin, figés dans la poussière depuis Mathusalem. Un réseau de tuyauteries vétustes courait en cercle autour du plafond. Malgré l’interdiction qui nous en avait été faite, je me rappelais très bien être venu explorer l’endroit une fois avec mon frère lorsque nous étions gamins. À l’époque, notre père nous avait administré une correction qui nous avait dissuadés d’y remettre les pieds. – On joue à quoi, au juste, papa ? Pour toute réponse, il tira une craie blanche de la poche de sa chemise et dessina une grande croix sur le mur. Il pointa du doigt le symbole. – À ce niveau, derrière les briques, se trouve une porte métallique. – Une porte ? – Un passage dont j’ai muré l’accès il y a plus de trente ans. Je fronçai les sourcils. – Un passage vers quoi ? Mon père éluda la question et eut une nouvelle quinte de toux. – C’est la deuxième condition, Arthur, dit-il en reprenant son souffle. Tu ne dois jamais chercher à ouvrir cette porte. Pendant un moment, je crus vraiment qu’il était devenu sénile. J’avais d’autres questions à lui poser, mais il s’empressa de couper le courant et de quitter la cave.

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