EMMANUEL, Pierre
Je sais
J'ai vu sur terre la gangrène des charniers.
J'ai vu le ciel encrassé de cendre humaine.
J'ai vu l'haleine des superbes embuer de sang l'univers.
J'ai vu pourrir le coeur des puissants sur leurs lèvres.
J'ai vu des hommes qu'on disait sages
parce qu'ils marchaient entre les flaques de sang.
J'ai vu les justes humer les massacres
comme si le large leur gonflait les poumons.
J'ai vu les bons jeter Dieu en avant...
A mon tour j'ai changé les mots en charogne.
L'âme humaine faite de mots
pourrit par ma faute à la face de Dieu.
Je suis devenu ce parleur qui a perdu le sens de la Parole...
Et mon âme gorgée de mensonge
écume aux lèvres de Dieu mourant.
J'ai tué le Verbe de Dieu.
Je suis un assassin comme les autres.
Mais tous ne savent pas qui meurt par eux.
Moi je le sais.
L'exilé de novembre
Je pars. tes lents cheveux sanglotent sur mon âme,
et déjà tu me perds dans l’ombre, ô bien-aimée !
Qui donc est revenu jamais ? Un soir d’automne
une feuille tombée sur la vasque, ce cri
d’un pas sur le gravier des heures ! mais l’allée
s’éloigne, et le passant se hâte vers l’hiver.
Un piano désert joue longtemps dans la brume,
il pleut. J’enfonce mes épaules, je rabats
mon chapeau sur ces yeux où s’éteint un novembre
transi de larmes, ton visage glisse, loin,
glisse vers le retour éternel où se fondent
les départs sans espoir de retour, les adieux
jetés dans le brouillard suprême des années
et qui trente ans après sonnent toujours, là-bas.
Ah! Si j’avais les ailes de la colombe!
…..
O peuples prisonniers de vos terreurs profondes
et dont l’âme croupit dans le sang de vos morts
O peuples sans écho que nul cri ne révolte
vînt-il du plus secret des pierres torturées
O peuples pourrissant sur pied dans votre histoire
et qui ne sentez pas l’odeur vous accuser
O peuples moribonds qui de vos mains crispées
ramenez le passé frileux sur vos regards
La Colombe a fondu sur vous de tout son être
lacérant le linceul où vous roule la Voix :
vous grelottez au matin froid de l’espérance
nus, voûtés, l’oeil peureux vers la terre, le bras
sur la tête plié pour parer les coups d’aile
car la gifle d’un libre vol vous marquerait
jusqu’au sang, et vous haïssez le sang, ô peuples
blafards comme la face de vos tyrans
…..
Sophia
…..
La pointe du sein nu c’est l’étoile du soir
Et l’homme qui reflue ô femme sur tes plages
Répand la voie lactée. Toute mesure tient
Dans la paume, le rond de l épaule. Deux mains
Ceignant les reins c’est l’horizon: et combien pèse
Le ciel viril arqué sur les mondes, ce corps
Astérie dans le rond sans bords, l’aime et l’endure.
Alors se courbent les distances, d’un regard
A l’autre inifiniment lointain par transparence.
Le cercle est cet accouplement sacré. Au centre
S’érige un feu. Mystiquement équidistant
De tous les êtres qu’il enflamme où il prend source :
Hymen rompu éblouissant exaucement.
…..