BLOY, Léon



L’Invendable
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Qu'est-ce que le Bourgeois ? C'est un cochon qui voudrait mourir de vieillesse.

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Le désespéré

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Manger de l’argent ! Qui donc a remarqué l’énormité symbolique de cette locution familière ? L’argent ne représente-t-il pas la vie des pauvres qui meurent de n’en pas avoir ? La parole humaine est plus profonde qu’on ne l’imagine. Ce mot est étrangement suggestif de l’idée d’anthropophagie, et il n’est pas tout à fait impossible, en suivant cette contingente idée, de se représenter un lieu de plaisir, comme un étal de boucherie ou un restaurant-bouillon, où se débiterait, par portions, la chair succulente des gueux. Les gourmets, par exemple, choisiraient dans la culotte, et les ménagères économes utiliseraient jusqu’aux abatis, tandis que des viveurs délabrés d’une noce récente, se contenteraient d’un modeste consommé de leurs frères déshérités. On est étonné du tangible corps que prend un tel rêve, quand on interroge ce propos banal.

Tout riche qui ne se considère pas comme l’intendant et le domestique du Pauvre, est le plus infâme des voleurs et le plus lâche des fratricides. Tel est l’esprit du christianisme et la lettre même de l’Évangile. Évidence naturelle qui peut, à la rigueur, se passer de la sanction du surnaturel chrétien.

C’est heureux pour les détrousseurs et les assassins, que l’animal soi-disant pensant soit si réfractaire au syllogisme parfait ! Il y a diablement longtemps qu’il aurait conclu à l’étripement et à la grillade, car la pestilence, bien sentie, du mauvais riche, n’est pas humainement supportable ! Mais la conclusion viendra, tout de même, et probablement bientôt, — étant annoncée de tous côtés par d’indéniables prodromes…

Les riches comprendront trop tard, que l’argent dont ils étaient les usufruitiers pleins d’orgueil, ne leur appartenait absolument pas ; que c’est une horreur à faire crier les montagnes, de voir une chienne de femme, à la vulve inféconde, porter sur sa tête le pain de deux cent familles d’ouvriers, attirés par des journalistes et des tripotiers dans le guet-apens d’une grève ; ou de songer qu’il y a quelque part un noble artiste qui meurt de faim, à la même heure qu’un banqueroutier crève d’indigestion !…

Ils se tordront de terreur, les Richards-cœurs-de-porcs et leurs impitoyables femelles, ils beugleront en ouvrant des gueules, où le sang des misérables apparaîtra en caillots pourris ! Ils oublieront, d’un inexprimable oubli, la tenue décente et les airs charmants des salons, quand on les déshabillera de leur chair et qu’on leur brûlera la tête avec des charbons ardents, — et il n’y aura plus l’ombre d’un chroniqueur nauséeux, pour en informer un public de bourgeois en capilotade ! Car il faut, indispensablement, que cela finisse, toute cette ordure de l’avarice et de l’égoïsme humains
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