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DU BELLAY, Joachim


Je vis l’oiseau qui le soleil contemple


Je vis l’oiseau qui le soleil contemple

D’un faible vol au ciel s’aventurer,

Et peu à peu ses ailes assurer,

Suivant encor le maternel exemple.

Je le vis croître, et d’un voler plus ample

Des plus hauts monts la hauteur mesurer,

Percer la nue, et ses ailes tirer

Jusqu’au lieu où des dieux est le temple.

Là se perdit : puis soudain je l’ai vu

Rouant par l’air en tourbillon de feu,

Tout enflammé sur la plaine descendre.

Je vis son corps en poudre tout réduit,

Et vis l’oiseau, qui la lumière fuit,

Comme un vermet renaître de sa cendre.


Maintenant je pardonne à la douce fureur


Maintenant je pardonne à la douce fureur
Qui m’a fait consumer le meilleur de mon âge,
Sans tirer autre fruit de mon ingrat ouvrage
Que le vain passe-temps d’une si longue erreur.

Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,
Puisque seul il endort le souci qui m’outrage,
Et puisque seul il fait qu’au milieu de l’orage,
Ainsi qu’auparavant, je ne tremble de peur.

Si les vers ont été l’abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l’appui de ma vieillesse,
S’ils furent ma folie, ils seront ma raison,

S’ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S’ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison.



Divins esprits, dont la poudreuse cendre


Divins esprits, dont la poudreuse cendre

Gît sous le faix de tant de murs couverts,

Non votre los, qui vif par vos beaux vers

Ne se verra sous la terre descendre,


Si des humains la voix se peut étendre

Depuis ici jusqu'au fond des enfers,

Soient à mon cri les abîmes ouverts

Tant que d'abas vous me puissiez entendre.


Trois fois cernant sous le voile des cieux

De vos tombeaux le tour dévotieux,

A haute voix trois fois je vous appelle :


J'invoque ici votre antique fureur,

En cependant que d'une sainte horreur

Je vais chantant votre gloire plus belle.


Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome


Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome

Et rien de Rome en Rome n'aperçois,

Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,

Et ces vieux murs, c'est ce que Rome on nomme.


Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme

Celle qui mit le monde sous ses lois,

Pour dompter tout, se dompta quelquefois,

Et devint proie au temps, qui tout consomme.


Rome de Rome est le seul monument,

Et Rome Rome a vaincu seulement.

Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit,


Reste de Rome. O mondaine inconstance !

Ce qui est ferme, est par le temps détruit,

Et ce qui fuit, au temps fait résistance.


Las, où est maintenant ce mépris de Fortune


Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ?

Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,

Cet honnête désir de l’immortalité,

Et cette honnête flamme au peuple non commune ?


Où sont ces doux plaisirs qu’au soir sous la nuit brune

Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté

Dessus le vert tapis d’un rivage écarté

Je les menais danser aux rayons de la Lune ?


Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,

Et mon cœur, qui soulait être maître de soi,

Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient.


De la postérité je n’ai plus de souci,

Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,

Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient.


Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.


Je vis sourdre d'un roc une vive fontaine

Je vis sourdre d'un roc une vive fontaine,
Claire comme cristal aux rayons du soleil,
Et jaunissant au fond d'un sablon tout pareil
A celui que Pactol roule parmi la plaine.

Là semblait que nature et l'art eussent pris peine
D'assembler en un lieu tous les plaisirs de l'oeil :
Et là s'oyait un bruit incitant au sommeil,
De cent accords plus doux que ceux d'une sirène.

Les sièges et relais luisaient d'ivoire blanc,
Et cent nymphes autour se tenaient flanc à flanc,
Quand des monts plus prochains de faunes une suite

En effroyables cris sur le lieu s'assembla,
Qui de ses vilains pieds la belle onde troubla,
Mit les sièges par terre et les nymphes en fuite.


Les Cheveux d'or

Ces cheveux d'or sont les liens, Madame,

Dont fut premier ma liberté surprise

Amour la flamme autour du coeur éprise,

Ces yeux le trait qui me transperce l'âme.

Forts sont les noeuds, âpre et vive la flamme,

Le coup de main à tirer bien apprise,

Et toutefois j'aime, j'adore et prise

Ce qui m'étreint, qui me brûle et entame.

Pour briser donc, pour éteindre et guérir

Ce dur lien, cette ardeur, cette plaie,

Je ne quiers fer, liqueur, ni médecine:

L'heur et plaisir que ce m'est de périr

De telle main ne permet que j'essaie

Glaive tranchant, ni froideur, ni racine.


Je ne veux point fouiller

Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l'esprit de l'univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts,
Ni dessiner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j'écris à l'aventure.

Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret :
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon coeur les plus sûrs secrétaires.

Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser
Que de papiers journaux ou bien de commentaires.


Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront

Ceux qui sont amoureux, leurs amours chanteront,
Ceux qui aiment l'honneur, chanteront de la gloire,
Ceux qui sont près du roi, publieront sa victoire,
Ceux qui sont courtisans, leurs faveurs vanteront,

Ceux qui aiment les arts, les sciences diront,
Ceux qui sont vertueux, pour tels se feront croire,
Ceux qui aiment le vin, deviseront de boire,
Ceux qui sont de loisir, de fables écriront,

Ceux qui sont médisants, se plairont à médire,
Ceux qui sont moins fâcheux, diront des mots pour rire,
Ceux qui sont plus vaillants, vanteront leur valeur,

Ceux qui se plaisent trop, chanteront leur louange,
Ceux qui veulent flatter, feront d'un diable un ange :
Moi, qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur.


Ni la fureur de la flamme enragée

Ni la fureur de la flamme enragée,
Ni le tranchant du fer victorieux,
Ni le dégât du soldat furieux,
Qui tant de fois, Rome, t'a saccagée,

Ni coup sur coup ta fortune changée,
Ni le ronger des siècles envieux,
Ni le dépit des hommes et des dieux,
Ni contre toi ta puissance rangée,

Ni l'ébranler des vents impétueux,
Ni le débord de ce dieu tortueux
Qui tant de fois t'a couvert de son onde,

Ont tellement ton orgueil abaissé,
Que la grandeur du rien qu'ils t'ont laissé
Ne fasse encore émerveiller le monde,


Si notre vie est moins qu’une journée

Si notre vie est moins qu'une journée

En l'éternel, si l'an qui fait le tour

Chasse nos jours sans espoir de retour,

Si périssable est toute chose née,

Que songes-tu, mon âme emprisonnée ?

Pourquoi te plait l'obscur de notre jour,

Si pour voler en un plus clair séjour,

Tu as au dos l'aile bien empannée ?

Là, est le bien que tout esprit désire,

Là, le repos où tout le monde aspire,

Là, est l'amour, la, le plaisir encore.

La, ô mon âme au plus haut ciel guidée !

Tu y pourras reconnaître l'Idée

De la beauté, qu'en ce monde j'adore.



La complainte du désespéré

…..
Qui prêtera la parole

A la douleur qui m’affole ?

Qui donnera les accents

A la plainte qui me guide :

Et qui lâchera la bride

A la fureur que je sens ?


Qui baillera double force

A mon âme, qui s’efforce

De soupirer mes douleurs ?

Et qui fera sur ma face

D’une larmoyante trace

Couler deux ruisseaux de pleurs ?…


Et vous mes vers, dont la course

A de sa première source

Les sentiers abandonnés,

Fuyez à bride avalée.

Et la prochaine vallée

De votre bruit étonnez.


Votre eau, qui fut claire et lente,

Ores trouble et violente,

Semblable à ma douleur soit,

Et plus ne mêlez votre onde

A l’or de l’arène blonde,

Dont votre fond jaunissoit…


Chacune chose décline

Au lieu de son origine

Et l’an, qui est coutumier

De faire mourir et naître,

Ce qui fut rien, avant qu’être,

Réduit à son rien premier.


Mais la tristesse profonde,

Qui d’un pied ferme se fonde

Au plus secret de mon coeur,

Seule immuable demeure,

Et contre moi d’heure en heure

Acquiert nouvelle vigueur…


Quelque part que je me tourne,

Le long silence y séjourne

Comme en ces temples dévots,

Et comme si toutes choses

Pêle-mêle étaient r’encloses

Dedans leur premier Chaos…


Maudite donc la lumière

Qui m’éclaira la première,

Puisque le ciel rigoureux

Assujettit ma naissance

A l’indomptable puissance

D’un astre si malheureux…


Heureuse la créature

Qui a fait sa sépulture

Dans le ventre maternel !

Heureux celui dont la vie

En sortant s’est vue ravie

Par un sommeil éternel !…


Sus, mon âme, tourne arrière,

Et borne ici la carrière

De tes ingrates douleurs.

Il est temps de faire épreuve,

Si après la mort on treuve

La fin de tant de malheurs.

…..