STÉTIÉ, Salah


Paix

La paix, je la demande à ceux qui peuvent la donner

Comme si elle était leur propriété, leur chose

Elle qui n’est pas colombe, qui n’est pas tourterelle à nous ravir,

Mais simple objet du cœur régulier,

Mots partagés et partageables entre les hommes

Pour dire la faim, la soif, le pain, la poésie

La pluie dans le regard de ceux qui s’aiment


La haine. La haine.

Ceux qui sont les maîtres de la paix sont aussi

les maîtres de la haine

Petits seigneurs, grands seigneurs, grandes haines toujours.

L’acier est là qui est le métal gris-bleu

L’acier dont on fait mieux que ces compotes

Qu’on mange au petit déjeuner

Avec du beurre et des croissants


Les maîtres de la guerre et de la paix

Habitent au-dessus des nuages dans des himalayas,

des tours bancaires

Quelquefois ils nous voient, mais le plus souvent

c’est leur haine qui regarde :

Elle a les lunettes noires que l’on sait


Que veulent-ils ? Laisser leur nom dans l’histoire

À côté des Alexandre, des Cyrus, des Napoléon,

Hitler ne leur est pas étranger quoi qu’ils en disent :

Après tout, les hommes c’est fait pour mourir

Ou, à défaut, pour qu’on les tue


Eux, à leur façon, qui est la bonne, sont les serviteurs d’un ordre

Le désordre, c’est l’affaire des chiens – les hommes, c’est civilisé

Alors à coups de bottes, à coups de canons et de bombes,

Remettons l’ordre partout où la vie

A failli, à coups de marguerites, le détraquer


À coups de marguerites et de doigts enlacés, de saveur de lumière,

Ce long silence qui s’installe sur les choses, sur chaque objet,

sur la peau heureuse des lèvres,

Quand tout semble couler de source comme rivière

Dans un monde qui n’est pas bloqué, qui est même un peu ivre,

qui va et vient, et qui respire…


Ô monde… Avec la beauté de tes mers,

Tes latitudes, tes longitudes, tes continents

Tes hommes noirs, tes hommes blancs, tes hommes rouges,

tes hommes jaunes, tes hommes bleus

Et la splendeur vivace de tes femmes pleines d’yeux et de seins,

d’ombres délicieuses et de jambes

Ô monde, avec tant de neige à tes sommets et tant de fruits

dans tes vallées et dans tes plaines

Tant de blé, tant de riz précieux, si seulement on voulait

laisser faire Gaïa la généreuse

Tant d’enfants, tant d’enfants et, pour des millions

d’entre eux, tant de mouches

Ô monde, si tu voulais seulement épouiller le crâne chauve

de ces pouilleux, ces dépouilleurs

Et leur glisser à l’oreille, comme dictée de libellule,

un peu de ta si vieille sagesse


La paix, je la demande à tous ceux qui peuvent la donner

Ils ne sont pas nombreux après tout, les hommes

violents et froids

Malgré les apparences, peut-être même ont-ils encore

des souvenirs d’enfance, une mère aimée,

un très vieux disque qu’ils ont écouté jadis

longtemps, longtemps


Oh, que tous ces moments de mémoire viennent à eux

avec un bouquet de violettes !

Ils se rappelleront alors les matinées de la rosée

L’odeur de l’eau et les fumées de l’aube sur la lune.