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MAYNARD, François


Epigramme CCIX


Margot, me voici Vit en main :

Aimons, le temps nous y convie.

Eh ! que savons nous si demain

Est un des jours de notre vie?


La mort nous guette, et quand ses lois

Nous ont enfermés une fois

Au sein d'une fosse profonde,


Adieu les amoureux ébats.

L'Ecriture ne parle pas

Que l'on chevauche en l'autre monde.


Déserts où j'ai vécu dans un calme si doux


Déserts où j'ai vécu dans un calme si doux,

Pins qui d'un si beau vert couvrez mon ermitage,

La cour depuis un an me sépare de vous,

Mais elle ne saurait m'arrêter davantage.


La vertu la plus nette y fait des ennemis ;

Les palais y sont pleins d'orgueil et d'ignorance ;

Je suis las d'y souffrir, et honteux d'avoir mis

Dans ma tête chenue une vaine espérance.


Ridicule abusé, je cherche du soutien

Au pays de la fraude, où l'on ne trouve rien

Que des pièges dorés et des malheurs célèbres.


Je me veux dérober aux injures du sort ;

Et sous l'aimable horreur de vos belles ténèbres,

Donner toute mon âme aux pensers de la mort.


Il est vrai. Je le sais. Mes vers sont méprisés

Il est vrai. Je le sais. Mes Vers sont méprisés.

Leur cadence a choqué les Galants et les Belles,

Graces à la bonté des Orateurs frisés,

Dont le faux sentiment règne dans les Ruelles.


Ils s'efforcent en vain de ravaler mon prix ;

Et malgré leur malice, aussi faible que noire,

Mon Livre sera lu de tous les beaux Esprits ;

Et, plus il vieillira, plus il aura de Gloire.


Tant qu'on fera des Vers, les miens seront vivants ;

Et la Race future, équitable aux Savants,

Dira que j'ai connu l'Art qui fait bien Ecrire.


Elle n'aimera pas l'impertinent caquet

Des Eloquents fardés que notre siècle admire,

Et qui lui font porter le titre de Coquet.


La belle vieille


Cloris, que dans mon temps j'ai si longtemps servie

Et que ma passion montre à tout l'univers,

Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie

Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ?


N'oppose plus ton deuil au bonheur où j'aspire.

Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ?

Sors de ta nuit funèbre, et permets que j'admire

Les divines clartés des yeux qui m'ont brûlé.


Où s'enfuit ta prudence acquise et naturelle ?

Qu'est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur ?

La folle vanité de paraître fidèle

Aux cendres d'un jaloux, m'expose à ta rigueur.


Eusses-tu fait le voeu d'un éternel veuvage

Pour l'honneur du mari que ton lit a perdu

Et trouvé des Césars dans ton haut parentage,

Ton amour est un bien qui m'est justement dû.


Qu'on a vu revenir de malheurs et de joies,

Qu'on a vu trébucher de peuples et de rois,

Qu'on a pleuré d'Hectors, qu'on a brûlé de Troies

Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois !


Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête,

Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,

Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête

Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.


C'est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née ;

C'est de leurs premiers traits que je fus abattu ;

Mais tant que tu brûlas du flambeau d'hyménée,

Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.


Je sais de quel respect il faut que je t'honore

Et mes ressentiments ne l'ont pas violé.

Si quelquefois j'ai dit le soin qui me dévore,

C'est à des confidents qui n'ont jamais parlé.


Pour adoucir l'aigreur des peines que j'endure

Je me plains aux rochers et demande conseil

A ces vieilles forêts dont l'épaisse verdure

Fait de si belles nuits en dépit du soleil.


L'âme pleine d'amour et de mélancolie

Et couché sur des fleurs et sous des orangers,

J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie

Et fait dire ton nom aux échos étrangers.


Ce fleuve impérieux à qui tout fit hommage

Et dont Neptune même endure le mépris,

A su qu'en mon esprit j'adorais ton image

Au lieu de chercher Rome en ses vastes débris.


Cloris, la passion que mon coeur t'a jurée

Ne trouve point d'exemple aux siècles les plus vieux.

Amour et la nature admirent la durée

Du feu de mes désirs et du feu de tes yeux.


La beauté qui te suit depuis ton premier âge

Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser,

Et le temps, orgueilleux d'avoir fait ton visage,

En conserve l'éclat et craint de l'effacer.


Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,

Consulte le miroir avec des yeux contents.

On ne voit point tomber ni tes lys, ni tes roses,

Et l'hiver de ta vie est ton second printemps.


Pour moi, je cède aux ans ; et ma tête chenue

M'apprend qu'il faut quitter les hommes et le jour.

Mon sang se refroidit ; ma force diminue

Et je serais sans feu si j'étais sans amour.


C'est dans peu de matins que je croîtrai le nombre

De ceux à qui la Parque a ravi la clarté !

Oh ! qu'on oira souvent les plaintes de mon ombre

Accuser tes mépris de m'avoir maltraité !


Que feras-tu, Cloris, pour honorer ma cendre ?

Pourras-tu sans regret ouïr parler de moi ?

Et le mort que tu plains te pourra-t-il défendre

De blâmer ta rigueur et de louer ma foi ?


Si je voyais la fin de l'âge qui te reste,

Ma raison tomberait sous l'excès de mon deuil ;

Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste

Et ferais jour et nuit l'amour à ton cercueil !