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JODELLE, Etienne



Sonnet XXXIX


Admirant ta blancheur, beauté, majesté, gloire,

Qui sur ton front placée orgueillit tout ton port,

Et ce qui de l'esprit comme un oracle sort,

Car c'est un Dieu renclos qui meut ce corps d'ivoire,


Digne de te servir je ne me saurais croire,

Eussé-je un cœur plus haut et tout un autre sort

Et mon corps logea-t-il pour te venger de mon

Quelque grand' Muse, fille et mère de Mémoire.


Comme de te servir indigne je me sens,

Je sens pour te louer incapables mes sens ;

Si faut-il que je t'aime et faut que je te chante.


Ta faveur qui fera mon humblesse hausser,

Ta déité qui fait mon esprit renforcer,

Rend mon service digne, et ma Muse puissante.


Je me trouve et je me perds


Je me trouve et me perds, je m’assure et m’effroie

En ma mort je revis, je vois sans penser voir,

Car tu as d’éclairer et d’obscurcir pouvoir,

Mais tout orage noir de rouge éclair flamboie,


Mon front qui cache et montre avec tristesse, joie,

Le silence parlant, l’ignorance au savoir,

Témoignent mon hautain et mon humble devoir,

Tel est tout cœur, qu’espoir et désespoir guerroie.


Fier en ma honte et plein de frisson chaleureux,

Blâmant, louant, fuyant, cherchant l’art amoureux,

Demi-brut, demi-dieu, je suis devant ta face,


Quand d’un œil favorable et rigoureux,je croi,

Au retour tu me vois, moi las ! qui ne suis moi :

Ô clairvoyant aveugle, ô amour, flamme et glace !



Sonnet XIII


Plutôt la mort me vienne dévorer

Et engloutir dans l'abîme profonde

Du gouffre obscur de l'oblivieuse onde

Qu'autre que toi l'on me voie adorer.


Mon bracelet, je te veux honorer

Comme mon plus précieux en ce monde :

Aussi viens-tu d'une perruque blonde

Qui pourrait l'or le plus beau redorer.


Mon bracelet, mon cher mignon, je t'aime

Plus que mes yeux, que mon cœur, ni moi-même,

Et me seras à jamais aussi cher


Que de mes yeux m'est chère la prunelle,

Si que le temps ni autre amour nouvelle

Ne te feront de mon bras délâcher.



Comme un qui s’est perdu


Comme un qui s’est perdu dans la forêt profonde

Loin de chemin, d’orée et d’adresse, et de gens :

Comme un qui en la mer grosse d’horribles vents,

Se voit presque engloutir des grandes vagues de l’onde :


Comme un qui erre aux champs, lors que la nuit au monde

Ravit toute clarté, j’avais perdu longtemps

Voie, route et lumière, et presque avec le sens,

Perdu longtemps l’objet, où plus mon heur se fonde.


Mais quand on voit, ayant ces maux fini leur tour,

Aux bois, en mer, aux champs, le bout, le port, le jour,

Ce bien présent plus grand que son mal on vient croire.


Moi donc qui ai tout tel en votre absence été,

J’oublie, en revoyant votre heureuse clarté,

Forêt, tourmente et nuit, longue, orageuse, et noire.