N É MIROVSKY, Irène



Suite française

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Qu'ils aillent où ils veulent; moi, je ferai ce que je voudrai. Je veux être libre. Je demande moins la liberté extérieure, celle de voyager, de quitter cette maison (quoique ce serait un bonheur inimaginable !), que d'être libre intérieurement, choisir ma direction à moi, m'y tenir, ne pas suivre l'essaim. Je hais cet esprit communautaire dont on nous rabat les oreilles. Les Allemands, les Français, les gaullistes s'entendent tous sur un point: il faut vivre, penser, aimer avec les autres, en fonction d'un État, d'un pays, d'un parti. Oh, mon Dieu ! je ne veux pas ! Je suis une pauvre femme inutile; je ne ne sais rien mais je veux être libre ! Des esclaves nous devenons, pensa-t-elle encore; la guerre nous envoie ici ou là, nous prive de bien-être, nous enlève le pain de la bouche; qu'on me laisse au moins le droit de juger mon destin, de me moquer de lui, de le braver, de lui échapper si je peux. Un esclave ? Cela vaut mieux qu'un chien qui se croit libre quand il trotte derrière son maître. Ils ne sont même pas conscients de leur esclavage, (...) et moi je leur ressemblerais si la pitié, la solidarité, "l'esprit de la ruche" me forçaient à repousser le bonheur.

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Il se revit tout à coup essayant en vain de traîner ce fagot vers le fleuve. Oui, il avait été incapable de ça, lui qui aurait voulu s'élancer vers le pont, entraîner les soldats derrière lui, se jeter sur les tanks ennemis, mourir en criant : « Vive la France ! » Il était ivre de fatigue et de désespoir. Parfois des pensées d'une maturité étrange traversaient son esprit : il songeait au désastre, à ses causes profondes, à l'avenir, à la mort. Puis il s'interrogeait sur lui-même, sur ce qu'il allait devenir, et petit à petit la conscience de la réalité lui revenait : « Qu'est-ce que maman va me passer, nom d'un petit bonhomme ! » murmurait-il, et son visage pâle, crispé, qui semblait avoir vieilli et maigri en deux jours, s'éclairait une seconde de son bon sourire d'enfant, naïf et large.

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