ORLEANS, Charles d’
En la forêt de Longue Attente
En la forêt de Longue Attente
Chevauchant par divers sentiers
M’en vais, cette année présente,
Au voyage de Desiriers.
Devant sont allés mes fourriers
Pour appareiller mon logis
En la cité de Destinée ;
Et pour mon coeur et moi ont pris
L’hôtellerie de Pensée.
Je mène des chevaux quarante
Et autant pour mes officiers,
Voire, par Dieu, plus de soixante,
Sans les bagages et sommiers.
Loger nous faudra par quartiers,
Si les hôtels sont trop petits ;
Toutefois, pour une vêprée,
En gré prendrai, soit mieux ou pis,
L’hôtellerie de Pensée.
Je dépense chaque jour ma rente
En maints travaux aventuriers,
Dont est Fortune mal contente
Qui soutient contre moi Dangiers ;
Mais Espoirs, s’ils sont droituriers,
Et tiennent ce qu’ils m’ont promis,
Je pense faire telle armée
Qu’aurai, malgré mes ennemis,
L’hôtellerie de Pensée.
Envoi
Prince, vrai Dieu de paradis,
Votre grâce me soit donnée,
Telle que trouve, à mon devis,
L’hôtellerie de Pensée.
Je ne prise point les baisers
Je ne prise point tels baisers
Qui sont donnés par contenance,
Ou par manière d’accointance :
Trop de gens en sont prisonniers :
On en peut avoir par milliers,
A bon marché, grand’ abondance.
Je ne prise point tels baisers
Qui sont donnés par contenance.
Mais, savez-vous lesquels sont chers ?
Les privés venant par plaisance.
Les privés venant par plaisance.
Tous autres ne sont, sans doutance,
Qui [sic] pour fêter étrangers.
Je ne prise point tels baisers
Qui sont donnés par contenance.
Je ne prise point tels baisers
Qui sont donnés par contenance
N'est-elle de tous biens garnie ?
N'est-elle de tous biens garnie ?
Celle que j'aime loyalement ;
Il m'est advis, par mon serment,
Que sa pareille n'a en vie.
Qu'en dites-vous ? je vous en prie,
Que vous en semble vraiment ?
N'est-elle de tous biens garnie ?
Celle que j'aime loyalement ;
Soit qu'elle danse, chante ou rit.
Ou face quelque ébattement :
Fait en loyal jugement,
Sans faveur ou sans flatterie ;
N'est-elle de tous biens garnie ?
Hiver, vous n'êtes qu'un vilain
Hiver, vous n'êtes qu'un vilain,
Été est plaisant et gentil,
En témoin de Mai et d'Avril
Qui l'accompagnent soir et matin.
Été revêt champs, bois et fleurs,
De sa livrée de verdure
Et de maintes autres couleurs
Par l’ordonnance de Nature.
.
Mais vous, Hiver, trop êtes plein
De neige, vent, pluie et grésil ;
On vous doit bannir en exil.
Sans point flatter, je parle plain :
Hiver, vous n'êtes qu'un vilain.
Quand je fus pris au pavillon
Quand je fus pris au pavillon
De ma dame très gente et belle,
Je me brûlai à la chandelle,
Ainsi que fait le papillon.
Je rougis comme vermillon,
Aussi flambant que une étincelle,
Quand je fus pris au pavillon
De ma dame très gente et belle.
Si j'eusse été émerillon
Ou que j'eusse eu aussi bonne aile,
Je me fusse gardé de celle
Qui me bailla de l'aiguillon
Quand je fus pris au pavillon.
En regardant vers le pays de France,
En regardant vers le pays de France,
Un jour m’advint, à Douvres sur la mer,
Qu’il me souvint de la douce plaisance
Que je soulais au dit pays trouver;
Si commençai de cœur à soupirer,
Combien certes que grand bien me faisoit
De voir France que mon cœur aimer doit.
Je m’avisai que c’était non savance
De tels soupirs dedans mon cœur garder,
Vu que je vois que la voie commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner ;
Pour ce, tournai en confort mon penser ;
Mais non pourtant mon cœur ne se lassoit
De voir France que mon cœur aimer doit.
Alors chargeai en la nef d’Espérance
Tous mes souhaits, en leur priant d’aller
Outre la mer, sans faire demeurance,
Et à France de me recommander.
Or nous donn’ Dieu bonne paix sans tarder !
Adonc aurai loisir, mais qu’ainsi soit,
De voir France que mon cœur aimer doit.
Paix est trésor qu’on ne peut trop louer.
Je hais guerre, point ne la dois priser;
Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit,
De voir France que mon cœur aimer doit!
Je meurs de soif en cousté la fontaine
Je meurs de soif en cousté la fontaine ;
Tremblant de froid ou feu des amoureux ;
Aveugle suis, et si les autres mène;
Pauvre de sens, entre sachant l'un d'eux ;
Trop négligent, en vain souvent soigneux ;
C'est de mon fait une chose féée,
En bien et mal par Fortune menée.
Je gagne temps, et perd mainte semaine ;
Je joue et ris, quand me sens douloureux ;
Déplaisance j'ai, d'espérance plaine ;
J'attends bonne heure en regret angoisseux ;
Rien ne me plaît, et si suis désireux ;
Je m'esjoïs, et cource à ma pensée,
En bien et mal par Fortune menée.
Je parle trop, et me tais à grand peine ;
Je m'esbays, et si suis courageux ;
Tristesse tient mon confort en domaine ;
Faillir ne puis, au mains a l'un des deux ;
Bonne chère je fais quand je me deux ;
Maladie m'est en santé donnée,
En bien et mal par Fortune menée.
ENVOI
Prince, je dis que mon fait malheureux
Et mon profit aussi avantageux,
Sur un hasard j'assiérai quelque année,
En bien et mal par Fortune menée.
Rondeau 325
Au puits profond de ma mélancolie,
L’eau d’Espoir que je ne cesse de tirer,
Soif de Réconfort me la fait désirer,
Bien que souvent je la trouve tarie.
Propre je la vois, un moment, éclaircie,
Pour ensuite se troubler et empirer,
Au puits profond de ma mélancolie,
L’eau d’Espoir que je ne cesse de tirer.
J’en détrempe mon encre quand j’écris,
Mais pour mon cœur fâcher,
Fortune vient déchirer mon papier
Et jette tout, comble de félonie,
Au puits profond de ma mélancolie.
Le temps a laissé son manteau
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderies,
De soleil luisant, clair et beau.
Il n'y a bête ni oiseau
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissé son manteau !
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d'argent, d'orfèvrerie,
Chacun s'habille de nouveau :
Le temps a laissé son manteau.
A sa dame
Jeune, gente, plaisant et débonnaire,
Par un prier qui vaut commandement
Chargé m'avez d'une ballade faire;
Si l'ai faite de coeur joyeusement;
Or la veuillez recevoir doucement,
Vous y verrez, s'il vous plaît à la lire,
Le mal que j'ai combien que vraiement
J'aimasse mieux de bouche le vous dire.
Votre douceur m'a su si bien attraire
Que tout vôtre je suis entièrement,
Très désirant de vous servir et plaire,
Mais je souffre maint douloureux tourment,
Quant à mon gré je ne vous vois souvent,
Et me déplaît quand me faut vous écrire,
Car se faire ce pouvait autrement,
J'aimasse mieux de bouche le vous dire.
C'est par Danger mon cruel adversaire
Qui m'a tenu en ses mains longuement,
En tous mes faits je le trouve contraire,
Et plus se rit, quand plus me voit dolent;
Se vouloye raconter pleinement
En cet écrit mon ennuyeux martyre.
Trop long serait pour ce, certainement,
J'aimasse mieux de bouche le vous dire.
Encore est vive la souris
Nouvelles ont couru en France,
Par maints lieux, que j'étais mort;
Dont avaient peu deplaisance
Aucuns qui me haïssent à tort;
Autres en ont eu déconfort,
Qui m'aiment de loyal vouloir,
Comme mes bons et vrais amis;
Si fais à toutes gens savoir
Qu'encore est vive la souris.
Je n'ai eu ni mal, ni grevance,
Dieu merci, mais suis sain et fort,
Et passe temps en espérance
Que paix, qui trop longuement dort,
S'éveillera, et par accord
A tous fera liësse avoir;
Pour ce, de Dieu soient maudits
Ceux qui sont dolents de voir
Qu'encore est vive la souris.
Jeunesse sur moi a puissance,
Mais Vieillesse fait son effort
De m'avoir en sa gouvernance;
A present faillira son sort,
Je suis assez loin de son port,
De pleurer je veux garder mon hoir;
Loué soit Dieu de Paradis,
Qui m'a donné force et pouvoir,
Qu'encore est vive la souris.
Nul ne porte pour moi le noir,
On vent meilleur marché drap gris;
Or tienne chacun, pour tout voir,
Qu'encore est vive la souris.