Download document

ANONYME - Le chant de la Perle



Le chant de la Perle


Il était une fois, dans les temps anciens, un jeune prince nommé Shapour (fils de roi). Il habitait dans le palais de son père, le Roi Shahryar (Le bon roi), dans le merveilleux royaume de la Perle unique, à l’Orient des légendes. Le Roi Shahryar et la Reine Negar (la bien aimée) avaient donné ce nom au prince car il devait un jour être roi à son tour.

Mais le peuple l’appelait Ishan (le miséricordieux), car il parcourait souvent la ville tantôt sur un cheval tantôt noir et tantôt blanc. Quand le cheval était noir, le Prince distribuait des vivres, et quand il était blanc, c’était que le Prince avait fait cacher quelques pièces d’or dans le pain. Aussi le jeune Prince était-il fort estimé.

Le Prince Ishan Shapour était très heureux dans le palais royal où il était comblé de richesses, et tout son entourage lui témoignait beaucoup d’affection. Il était nourri de mets délicats et vêtu d’une magnifique et glorieuse robe royale qu’il couvrait d’un superbe manteau taillé dans un léger et aérien tissu teinté de pourpre. Lorsqu’il eut vingt ans, cependant, le roi lui révéla le secret de la Perle qui avait donné son nom au pays. La Perle Sans Pareille était une perle unique et merveilleuse dont l’origine était inconnue. Elle était tellement grosse qu’il fallait les deux mains pour la porter, et tellement lumineuse qu’elle semblait être une petite lune descendue sur Terre.

Cette Perle Sans Pareille, dit le roi, était magique et très célèbre. Elle était présentée sur un socle d’or dans une tour du Château où chacun pouvait librement la voir. Beaucoup de gens venaient du monde entier pour la contempler et ils apportaient au royaume la renommée et la prospérité. Mais un jour la Perle Sans Pareille disparut. Elle avait été volée dans la nuit et l’on n’en pu trouver nulle trace. Alors le roi fit fermer la tour et envoya partout des émissaires pour rechercher la Perle mais tous la cherchèrent vainement. Un jour pourtant, un cavalier se présenta couvert de la poussière du désert, annonçant que la Perle était enfin retrouvée. Elle était au milieu de la mer, au large du Pays sans Nom tout près de l’Égypte et un dragon très féroce la gardait jour et nuit. « Tu es le Prince et l’héritier du Trône, dit le Roi, et il t’appartient de ramener la Perle. Tu dois donc te rendre au Pays sans Nom et affronter le dragon à la brûlante haleine pour lui reprendre notre bien. Á ton retour, je te promets que tu retrouveras ta robe et ton rang ». Sur l’ordre du Roi, ses gens tirèrent du trésor quelques richesses et en firent un léger fardeau. Ils y mirent de l'or, de l'argent, des rubis, des agates et quelques diamants. Ils ôtèrent la robe de gloire du Prince et son manteau de pourpre et le vêtirent plus simplement.

Le Prince traversa le désert avec une petite escorte car la route était dangereuse. Il passa Maishan, la cité des marchands, et arriva alors au pays de Babel, dans la ville de Sarboug. Ses compagnons quittèrent alors le Prince qui se retrouva seul en Égypte. Il gagna le Pays sans Nom et s’installa dans une auberge près de la mer. Puis il se mit à la recherche du dragon. Il trouva bientôt son gîte qui était bien connu, et il se tint au voisinage, attendant qu'il s'endorme pour lui prendre la Perle. Mais ce dragon maudit ne semblait jamais dormir. Comme le Prince demeurait toujours seul et discret, les autres habitants de l’auberge connurent vite qu’il était étranger.

Ils cherchèrent par la ruse à capter sa confiance et ses biens. Le Prince craignit alors qu’on le soupçonnât de vouloir s'emparer de la Perle et que l'on excitât le dragon contre lui. Il s'habilla alors de leurs vêtements, adopta leurs coutumes, mangea de leurs nourritures et but de leurs breuvages, et il partagea aussi leurs occupations. Mais ces habitants se nourrissaient de chairs animales et de boissons fortes. Leurs aliments indignes abêtirent le Prince et le firent tomber dans un profond sommeil. Il oublia qu’il était fils de Roi et qu’il était en mission. Il oublia tout, même la Perle pour laquelle il avait été envoyé dans ces contrées hostiles.

Ses parents apprirent ce qu'il lui advenait et s'en affligèrent grandement. Ils firent proclamer dans tout le royaume que tout le peuple devait lui venir en aide. Alors, les rois du vieil Orient des Légendes et les grands de Parthie et tous les mages et notables du Royaume de la Perle Unique résolurent que le Prince Ishan Shapour ne serait pas abandonné au Pays sans Nom près de l’Égypte. Au nom de tous ces princes, le Roi Shahryar et la Reine Negar écrivirent alors une lettre. Et voici ce que disait la lettre que le Roi scella de sa main droite contre les méchants voleurs du Pays sans Nom,

les enfants de Babel et les démons rebelles de Sarboug « De la part de ton père le Roi des Rois, et de ta mère, la souveraine d'Orient, salut à toi, notre fils en Égypte. Réveille- toi présentement de ton sommeil et remets-toi debout, sois attentif et perçois bien tous les mots de notre lettre.

Souviens-toi maintenant que tu es un fils de roi et vois dans quel esclavage tu es tombé. Pense à ta mission et à la Perle sans Pareille, pour laquelle nous t’avons envoyé au Pays sans Nom. Souviens-toi aussi de ta robe de gloire et de ton manteau de pourpre, afin que tu puisses de nouveau les revêtir et t'en parer, afin que ton nom soit écrit dans le livre des héros, et que tu deviennes un jour le noble héritier de notre royaume ».

Et, par magie, cette lettre s'éleva merveilleusement sous la forme de l'aigle, roi des oiseaux. Elle prit son vol pour venir se poser près du Prince qu’elle appela tout comme un messager humain. Au bruit de sa voix, le Prince Ishan Shapour s’éveilla et sortit de son sommeil funeste, il la ramassa, l'embrassa, en brisa le sceau et la lut. Il retrouva dans les mots de la lettre tout ce qui était écrit dans son coeur. Il se ressouvint qu’il était fils de roi, et que son âme, née libre, soupirait encore pour sa propre nature. Le Prince se rappela enfin de la Perle unique pour laquelle on l'avait envoyé au Pays sans Nom, aux confins de l’Égypte.

Il alla affronter de face le terrible dragon à la brûlante haleine. Il l’endormit par la magie en prononçant sur lui le nom de son père le grand Roi et le nom de sa mère, la reine de l'Orient. Et le dragon soumis le laissa reprendre la Perle merveilleuse. Le Prince s'employa vite à regagner la maison de son Père. Il ôta ses vêtements indignes et prit la route lumineuse de l'Orient. La lettre qui l’avait éveillé lui montrait le chemin. Comme elle l'avait éveillé par sa voix, elle se tenait devant lui et le guidait par sa lumière, l'entraînant par son amour jusqu’au seuil du désert. Ses parents informés envoyèrent alors une escorte à la rencontre du Prince.

Les envoyés portaient la robe de gloire et le manteau pourpré dont il avait oublié les splendeurs. Devant lui, la robe apparut soudain comme son image reflétée dans un miroir. Et cette image apparaissait tout entière en lui, et lui se voyait tout entier en elle. Ils étaient bien distincts et pourtant un seul dans une forme unique. Et elle irradiait de tout l'éclat du Roi Shahryar. Le Prince la voyait vibrer de tous les degrés de la Sagesse. Il perçut alors ce que signifiait sa vision : « Je suis Cela même qui agit dans les actes de celui qui est né dans la maison du Père ». Et le Prince perçut en

lui-même combien il avait grandi en accomplissant sa mission.

Mais voici que devant lui, la robe s’avançait toute entière, et le poussait à la prendre des mains des porteurs ; et son propre désir le pressait lui aussi de la recevoir. Il s’en saisit donc et se para de la beauté de ses couleurs, puis il s'enveloppa de son manteau royal. Et c’est ainsi vêtu que le Prince revint au Pays de la Perle. Il monta jusqu'à la porte du Palais et rendit grâce à son Père qui lui avait envoyé la robe selon sa promesse, comme le Prince Ishan Shapour avait lui-même tenu la sienne. Il fut reçu dans la joie, et tous le louaient de ce qu'il avait rempli sa mission et qu’il paraissait devant le Roi ayant enfin rapporté la Perle sans Pareille.


Adaptation: Jacques Henri Prévost