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CHAR, René



Les Pyrénées


Montagne des grands abusés,
Au sommet de vos tours fiévreuses
Faiblit la dernière clarté.
Rien que le vide et l'avalanche,
La détresse et le regret!
Tous ces troubadours mal-aimés
Ont vu blanchir dans un été
Leur doux royaume pessimiste.
Ah! la neige est inexorable
Qui aime qu'on souffre à ses pieds,
Qui veut que l'on meure glacé
Quand on a vécu dans les sables .



À ***


Tu es mon amour depuis tant d’années,

Mon vertige devant tant d’attente,

Que rien ne peut vieillir, froidir ;

Même ce qui attendait notre mort,

Ou lentement sut nous combattre,

Même ce qui nous est étranger,

Et mes éclipses et mes retours.


Fermée comme un volet de buis,

Une extrême chance compacte

Est notre chaîne de montagnes,

Notre comprimante splendeur.


Je dis chance, ô ma martelée ;

Chacun de nous peut recevoir

La part de mystère de l’autre

Sans en répandre le secret ;

Et la douleur qui vient d’ailleurs

Trouve enfin sa séparation

Dans la chair de notre unité,

Trouve enfin sa route solaire

Au centre de notre nuée

Qu’elle déchire et recommence.


Je dis chance comme je le sens.

Tu as élevé le sommet

Que devra franchir mon attente

Quand demain disparaîtra



Effacement du peuplier


L’ouragan dégarnit les bois.

J’endors, moi, la foudre aux yeux tendres.

Laissez le grand vent où je tremble

S’unir à la terre où je crois.


Son souffle affile ma vigie.

Qu’il est trouble le creux du leurre

De la source aux couches salies !


Une clé sera ma demeure,

Feinte d’un feu que le coeur certifie;

Et l’air qui la tint dans ses serres.