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CARRÈRE, Emmanuel



L’Adversaire

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Ces rêves éveillés peuplaient sa solitude. Le jour dans sa voiture, la nuit près de Florence endormie, il créait une Corinne qui le comprenait, le pardonnait, le consolait. Mais il savait bien qu’en face d’elle les choses ne pourraient pas prendre ce tour. Il aurait fallu, pour l’émouvoir et l’impressionner, que son histoire soit différente, qu’elle ressemble à ce que devaient imaginer les enquêteurs trois ans plus tard. Faux médecin mais vrai espion, vrai trafiquant d’armes, vrai terroriste, il l’aurait sans doute séduite. Faux médecin seulement, englué dans la peur et la routine, escroquant de petits retraités cancéreux, il n’avait aucune chance et ce n’était pas la faute de Corinne. Elle était peut-être superficielle et pleine de préjugés, mais il n’aurait rien changé qu’elle ne le soit pas. Aucune femme n’accepterait d’embrasser cette Bête-là, qui jamais ne se transformerait en prince charmant. Aucune femme ne pouvait aimer ce qu’il était en vérité. Il se demandait s’il existait au monde une vérité plus inavouable, si d’autres hommes avaient à ce point honte d’eux-mêmes. Peut-être certains pervers sexuels, ceux que dans les prisons on appelle les pointeurs et que les autres criminels méprisent et maltraitent.

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