SAINT-LAMBERT, Jean-François de


L’hiver

Quel bruit s’est élevé des forêts ébranlées,

Du rivage des mers, et du fond des vallées ?

Pourquoi ces sons affreux, ces longs rugissements,

Ce tumulte confus, ce choc des éléments ?

Ô puissance féconde ! ô nature immortelle !

Des êtres animés, mère tendre etcruelle !

Faut-il donc qu’aux faveurs dont tu les as comblés

Succèdent les fléaux dont ils sont accablés ?

Le fougueux aquilon déchaîné sur nos têtes,

Sous un ciel sans clarté promène les tempêtes ;

Il mugit dans les bois, et sur les monts déserts ;

En tourbillon rapide il tourne sur les mers ;

Il étend, il resserre, il fait fondre les nues ;

Les champs ont disparu sous des mers inconnues ;

Sur les eaux qui tombaient le ciel verse des eaux ;

Les torrents sont pressés par des torrents nouveaux.

Ce fleuve qui s’élance et franchit la prairie,

Porte au penchant des monts son onde, & sa furie ;

Et des arbres tombés, des hameaux renversés,

Il roule dans son sein les débris dispersés.

Quel ravage effrayant des asiles champêtres !

Quel désordre étendu règne sur tous les êtres !

Le monde est menacé du retour du chaos,

Et l’humide élément vainqueur de ses rivaux,

Vainqueur du dieu du jour, dans la nature entière

Semble éteindre aujourd’hui la vie et la lumière.

Ô terrible ouragan, suspendez vos fureurs.

Ô campagne, ô nature, ô théâtre d’horreurs !

Quoi ! d’un père adoré l’univers est l’ouvrage,

Il chérit ses enfants, et voilà leur partage !

Le Soleil sans paraître avait fini son tour,

Et la nuit succédait aux ténèbres du jour ;

J’entendais les combats de Neptune et d’Éole ;

J’étais seul, éloigné de l’ami qui console,

Et d’un peuple léger, qui du moins un moment,

Dissipe de nos maux le triste sentiment :

Je me trouvais alors dans ma retraite obscure

Abandonné de tous, en proie à la nature ;

L’image des débris du monde dévasté,

D’un ciel tumultueux la sombre majesté,

Les ténèbres, les vents, augmentaient ma tristesse ;

Je cherchais un appui qui soutînt ma faiblesse,

Qui donnât quelque joie à mon cœur opprimé,

Et rendît l’espérance à ce monde alarmé ;

À travers ce chaos, dans ce désordre extrême,

Mon cœur épouvanté cherchait l’être suprême.
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