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VALERY Paul



Monsieur Teste

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Nous allons, à la fin, où vous aimeriez d’aller si vous étiez ici, à cet antique jardin où tous les gens à pensées, à soucis et à monologues descendent vers le soir, comme l’eau va à la rivière, et se retrouvent nécessairement. Ce sont des savants, des amants, des vieillards, des désabusés et des prêtres ; tous les absents possibles, et de tous les genres. On dirait qu’ils recherchent leurs éloignements mutuels. Ils doivent aimer de se voir sans se connaître, et leurs amertumes séparées sont accoutumées à se rencontrer. L’un traîne sa maladie, l’autre est pressé par son angoisse ; ce sont des ombres qui se fuient ; mais il n’y a pas d’autre lieu pour y fuir les autres que celui-ci, où la même idée de la solitude attire invinciblement chacun de tous ces êtres absorbés. Nous serons tout à l’heure à cet endroit digne des mots. C’est une ruine botanique. Nous y serons un peu avant le crépuscule. Voyez-nous, marchant à petits pas, livrés au soleil, aux cyprès, aux cris d’oiseau. Le vent est froid au soleil, le ciel trop beau parfois me sert le cœur.

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