CREVEL, René



Elle ne suffit pas l’éloquence


Elle ne suffit pas l’éloquence.
Mon cœur ce soir se balance
Et glisse au fil d’une paupière
Lampion de misère
Qui n’éclaire pas ma nuit.
Homme noir mais non d’onyx
Homme couleur de dépit
Titubant par le marais des petites haines
Tu voudrais
Comme une alouette son miroir
Un soleil où mourir avec ta peine.
Tu cherches mais trop inquiet
Pour trouver ton Reposoir,
Rien ne brille
Ni les yeux, ni le fer, ni l’aimant anonyme
Qui libèrent de mille clous
Tes douleurs
Où l’essaim des mouches au vol boiteux
Des mouches qui n’ont qu’une aile
Allument de piètres étoiles de sang.
Jongleur
Jongleur de paroles
Tes mots s’écrasent contre les murs,
Ton angoisse — encore un ruban frivole —
Couronne
Un cerveau qui trop longtemps a joué au « pigeon vole ».
Les lettres du désespoir
Ce soir
Sont égales aux lettres des bonheurs d’autrefois,
Que dirai-je alors !
Que te dirai-je à toi
Frère né de mes pieds,
Sur un sol où tu ne vis que pour m’épier,
Trottoir que j’ai suivi
Pour son mensonge de granit.
J’ai oublié que là-bas était la mer
Et j’ai fui l’eau miroir d’étoiles
Pour chanter une main
Dans une autre main.
Fleuve vert
Enfance douce
Pitié pour l’homme qui passe
L’homme qui mord sa lèvre
Dans ses lèvres
Car il a peur d’oublier le goût de bouche.
Timonier brun, sous la toile bleue
La peau couleur de cheveux
Holà ! beau voyageur
Tu allais vers la mer
Maintenant tu marches au ciel, un trou un hublot
Je suis le noyé des terres.
Dis qu’il n’est pas trop tard
Ô mon orgueil, pour jouer au phare.
Et sur le matelas des herbes tendres
Tombe en triangles de métal.
Mon cœur aura beau hurler son mal
Mon cœur j’en ferai des lanières
Des lanières que je saurai teindre
Ou tordre en chiffres
Plus définitifs
Que les œufs dans leurs coquilles
Et les momies dans leur robe d’or,
Et toi mon corps, maudis les sens comme un malade ses béquilles.